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sœur et moi, nous entrâmes seuls dans la ville, afin d’y renouveler nos provisions. On se retrouva le lendemain, 30, sur la route qui coupe le district de Viessbaden. On évitait, vers midi, la petite ville d’Offenbach, et, le soir, on atteignait Francfort-sur-le-Mein.

De cette grande cité, je ne dirai rien, si ce n’est qu’elle est située sur la rive droite de la rivière et qu’elle fourmille de Juifs. Ayant traversé le Mein dans le bac du passeur d’Offenbach, nous étions tout portés sur la route qui descend vers Mayence. Comme nous ne pouvions nous dispenser d’entrer à Francfort pour le visa des passeports, cette formalité remplie, nous revînmes retrouver M. Jean et sa mère. Cette nuit-là ne nous obligea donc pas à une séparation toujours pénible. Mais, ce qui fut plus apprécié encore, c’est que nous trouvâmes à nous loger, fort modestement, il est vrai, dans le faubourg de Salhsenhausen, sur la rive gauche du Mein.

Après un souper pris en commun, chacun eut hâte de regagner son lit, excepté ma sœur et moi, qui avions quelques emplettes à faire.

Et voici, entre autres choses, ce qu’entendit Irma chez le boulanger, où quelques personnes parlaient du soldat Jean Keller. On disait qu’il avait été repris du côté de Salmunster, et les détails de la capture ne manquaient pas. En vérité, c’eût été plaisant, si nous avions eu l’humeur de plaisanter.

Toutefois, ce qui me parut infiniment plus grave, c’est qu’on s’entretenait aussi de l’arrivée très prochaine du régiment de Leib, qui devait être dirigé de Francfort sur Mayence, et de Mayence vers Thionville.

S’il en était ainsi, le colonel von Grawert et son fils allaient suivre la même route que nous. En prévision de cette rencontre, ne conviendrait-il pas de modifier notre itinéraire et de prendre une direction plus au sud, au risque de se compromettre en évitant les villes indiquées par la police prussienne ?

Le lendemain, 31, j’appris cette mauvaise nouvelle à M. Jean. Il me recommanda de n’en parler ni à sa mère ni à Mlle Marthe, qui avaient