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24 août, après une dizaine de lieues faites à pied depuis les montagnes de la Thuringe, elles arrivèrent devant Tann, vers dix heures du soir.

Là, comme il était convenu, M. Jean et sa mère se séparèrent de nous. Il n’eût pas été prudent de traverser cette ville, dans laquelle M. Jean aurait pu être reconnu, et on sait où cela l’eût mené !

Il avait été dit que l’on se retrouverait le lendemain, vers huit heures, sur la route de Fulda. Si nous n’étions pas exacts au rendez-vous, c’est que l’acquisition d’une voiture et d’un cheval nous aurait retenus. Mais, sous aucun prétexte, Mme Keller ni son fils ne devraient entrer à Tann. Et cela fut sage, car les agents se montrèrent très sévères dans l’examen de nos passeports. Je vis le moment où l’on allait retenir des gens que l’on expulsait. Il fallut dire comment nous voyagions, dans quelles circonstances nous avions perdu notre voiture, etc.

Cela nous servit pourtant. Un des agents, dans l’espoir d’une honnête commission, offrit de nous mettre en rapport avec un loueur. Sa proposition fut acceptée. Après avoir conduit Mlle Marthe et ma sœur à l’hôtel, M. de Lauranay, qui parlait très bien l’allemand, vint avec moi chez ce loueur.

De voiture de voyage, il n’en avait pas. Il fallut se contenter d’une sorte de patache à deux roues, recouverte d’une bâche, et de l’unique cheval qui pouvait s’atteler dans ses brancards. Inutile d’ajouter que M. de Lauranay dut payer deux fois la valeur du cheval et trois fois celle de la patache.

Le lendemain, à huit heures, nous retrouvions Mme Keller et son fils sur la route. Un mauvais cabaret leur avait servi de gîte. M. Jean avait passé la nuit sur une chaise, pendant que sa mère disposait d’une sorte de grabat. M. et Mlle de Lauranay, Mme Keller et Irma, montèrent dans la patache, où j’avais déposé quelques provisions achetées à Tann. Eux assis, il restait, en se serrant, une cinquième place. Je l’offris à M. Jean. Il refusa. Finalement, il fut convenu que nous la prendrions à tour de rôle, et, la plupart du temps, il