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lourd. De nos deux pistolets, je remis l’un à M. Jean, je gardai l’autre. À l’occasion, nous saurions nous en servir.

En ce moment, Jean vint prendre la main de Mlle de Lauranay, et d’une voix émue, il lui dit :

« Marthe, quand j’ai voulu vous prendre pour femme, ma vie m’appartenait !… Maintenant, je ne suis plus qu’un fugitif, un condamné à mort !… Je n’ai plus le droit d’associer votre vie à la mienne !…

— Jean, répondit Mlle Marthe, nous sommes unis devant Dieu !… Que Dieu nous conduise !… »


XVIII

Je passerai rapidement sur les deux premiers jours de voyage avec Mme Keller et son fils. Nous avions eu cette chance, en quittant le territoire de la Thuringe, de ne faire aucune mauvaise rencontre.

Très surexcités, d’ailleurs, nous allions d’un bon pas. La fatigue ne semblait plus avoir prise sur nous. On eût dit que Mme Keller, Mlle Marthe et ma sœur voulaient nous donner l’exemple. Il fallut les modérer. On se reposait régulièrement une heure sur quatre, et cela fait de la route au bout de la journée.

Le pays, peu fertile, était creusé de sinueux ravins, hérissés de saules et de trembles. Aspect assez sauvage dans cette partie de la province de Hesse-Nassau, qui a formé depuis le district de Cassel. Peu de villages, seulement quelques fermes à toit plat, sans chenaux. Nous traversions alors l’enclave de Schmalkalden, par un temps favorable, un ciel couvert, une bise assez fraîche qui nous prenait de dos. Néanmoins, nos compagnes étaient bien fatiguées, lorsque, le