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pas eu de pluie pendant la journée. Malheureusement, avec le soir, d’épais nuages revinrent de l’ouest ; puis, au-dessous, il se forma de ces nuées aqueuses qui semblent ramper sur le sol. Je m’estimai heureux d’avoir trouvé cette hutte, si misérable qu’elle fût, maintenant que la berline nous faisait défaut.

M. de Lauranay avait été très affecté de l’accident, surtout pour sa petite-fille. Une longue route nous séparait encore de la frontière de France. Comment s’achèverait le voyage, et dans les délais voulus, si nous étions forcés de le continuer à pied ? Nous avions donc à causer de ces choses. Mais, d’abord, il fallait aller au plus pressé.

Dans l’intérieur de la hutte, qui ne semblait pas avoir été récemment occupée, le sol était recouvert d’une litière d’herbes sèches. Là, sans doute, se réfugiaient les bergers qui mènent leurs troupeaux paître dans la montagne, sur le dernier renflement de la chaîne de Thuringe. Au bas de la colline se développaient les plaines de la Saxe, dans la direction de Fulda, à travers les territoires de la province du Haut-Rhin.

Sous les rayons du soleil couchant qui les prenaient par l’oblique, ces plaines se relevaient vers l’horizon opposé en faibles ondulations. Elles ressemblaient à des « wastes », nom que l’on donne aux terrains moins arides que les landes. Bien que ces wastes fussent comme hachés de hauteurs, ils ne devaient plus offrir les routes difficiles que nous avions suivies depuis Gotha.

La nuit venant, j’aidai ma sœur à disposer un peu de nos provisions pour le souper. Trop fatigués, sans doute, par cette marche de toute une journée, M. et Mlle de Lauranay y touchèrent à peine. Irma, non plus, n’avait pas le cœur à manger. La lassitude l’emportait sur la faim.

« Vous avez tort ! répétai-je. Se nourrir d’abord, se reposer ensuite, c’est la méthode du soldat en campagne. Nous aurons besoin de nos jambes, maintenant. Il faut souper, mademoiselle Marthe…