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« Ne vaudrait-il pas mieux faire halte ? me dit M. de Lauranay en se penchant hors de la portière.

— Probable, répondis-je, et je m’arrêterai à la condition de trouver un endroit convenable pour passer la nuit. Sur cette pente, ce ne serait guère possible.

— De la prudence, Natalis !

— Soyez tranquille, monsieur de Lauranay ! »

Je n’avais pas achevé de répondre qu’un immense éclair enveloppait la berline et les chevaux. La foudre venait de frapper un énorme bouleau sur notre droite. Heureusement, l’arbre s’était abattu du côté de la forêt.

Les chevaux s’étaient violemment emportés. Je sentis que je n’en étais plus maître. Ils descendirent le défilé à fond de train, malgré les efforts que je fis pour les retenir. Eux et moi, nous étions aveuglés par les éclairs, assourdis par les éclats de la foudre. Si ces bêtes affolées faisaient un écart, la berline se précipitait dans les profonds ravins qui bordaient la route.

Soudain, les guides cassèrent. Les chevaux, plus libres, se lancèrent avec plus de furie encore. Une catastrophe inévitable nous menaçait.

Tout à coup, un choc se produisit. La berline venait de heurter le tronc d’un arbre, en travers du défilé. Les traits se rompirent. Les chevaux sautèrent par-dessus l’arbre. En cet endroit, le défilé faisait un coude brusque, au-delà duquel les malheureuses bêtes disparurent dans l’abîme.

La berline s’était brisée au choc, brisée des roues de devant, mais elle n’avait pas versé. M. de Lauranay, Mlle Marthe et ma sœur en sortirent sans blessures. Moi, si j’avais été jeté du haut du siège, j’étais du moins sain et sauf.

Quel irréparable accident ! Qu’allions-nous devenir, maintenant, sans moyen de transport, au milieu de cette Thuringe déserte ! Quelle nuit nous passâmes !

Le lendemain, 23 août, il fallut reprendre cette pénible route,