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le filet ne lui a pas volé ses cinq sols ! Aussi je me tins sur la réserve, et il en fut pour ses frais.

À trois heures nous sortîmes, nous deux ma sœur, pour terminer nos emplettes. Comme Irma parlait l’allemand, elle ne pouvait être embarrassée ni dans les rues ni dans les boutiques. Néanmoins, on reconnaissait aisément que nous étions Français, et cela n’était pas pour nous ménager bon accueil.

Entre trois et cinq heures, nous fîmes un certain nombre de courses, et, en somme, il arriva que je parcourus Gotha dans ses principaux quartiers.

De ce qui se passait alors en France, des affaires intérieures et extérieures, j’aurais voulu avoir quelques nouvelles. Aussi recommandai-je à Irma de prêter l’oreille à ce qui se disait dans les rues ou dans les boutiques. Même nous n’hésitions pas à nous approcher des groupes où l’on causait avec une certaine animation, à écouter les paroles qui s’échangeaient, bien que ce ne fût pas très prudent de notre part.

En réalité, ce que nous pûmes surprendre n’était pas de nature à satisfaire des Français. Après tout, mieux valait avoir des nouvelles, même mauvaises, que d’être sans.

Je vis aussi de nombreuses affiches étalées sur les murs. La plupart n’annonçaient que des mouvements de troupes ou des soumissions de fournitures pour les armées. Cependant ma sœur s’arrêtait parfois et en lisait les premières lignes.

Une de ces affiches attira plus spécialement mon attention. Elle était écrite en gros caractères noirs sur papier jaune. Je la vois encore, appliquée contre un appentis, au coin d’une échoppe de savetier.

« Tiens, dis-je à Irma, regarde donc cette affiche. Est-ce que ce ne sont pas des chiffres qu’il y a en tête ?… »

Ma sœur s’approcha de l’échoppe et commença à lire…

Quel cri lui échappa ! Nous étions seuls heureusement. Personne ne l’avait entendue.