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çant notre expulsion, nous eût procuré les moyens de lui obéir. J’en conclus que si nous avions donné suite à notre premier projet de partir avant l’incorporation de M. Jean, Kalkreuth ne nous aurait point octroyé de passeports, et jamais nous n’aurions pu atteindre la frontière. Il fallait donc remercier Dieu d’abord, Sa Majesté Frédéric-Guillaume ensuite, de nous avoir facilité notre voyage. Toutefois, il est inutile d’aller à la Croix devant le temps. C’est un de nos proverbes picards, et il en vaut bien d’autres.

Il y a de bons hôtels à Gotha. Je trouvai aisément aux Armes de Prusse quatre chambres très acceptables, et une écurie pour les deux chevaux. Malgré les regrets que j’eusse de ce retard, je sentais bien qu’il fallait s’y résigner. Heureusement, sur les vingt jours de voyage qui nous étaient alloués, nous n’en avions encore dépensé que quatre, et près du tiers du parcours était fait. Donc, en conservant cette allure, nous devions arriver à la frontière de France dans les délais voulus. Je ne demandais qu’une chose, c’était que le régiment de Royal-Picardie ne tirât pas ses premiers coups avant les derniers jours du mois.

Le lendemain, vers huit heures, je descendis au parloir de l’hôtel, où ma sœur vint me rejoindre.

« M. de Lauranay et Mlle Marthe ?… lui demandai-je.

— Ils n’ont pas encore quitté leurs chambres, me répondit Irma, et il faut les y laisser jusqu’au déjeuner…

— C’est entendu, Irma ! Et toi, où vas-tu ?

— Nulle part, Natalis. Mais, dans l’après-midi, j’irai faire quelques emplettes et renouveler nos provisions. Si tu veux bien m’accompagner ?…

— Volontiers. Je me tiendrai prêt. En attendant, je vais muser un peu par les rues. »

Et me voilà parti à l’aventure.

Que vous dirai-je de Gotha ? Je n’en ai pas vu grand-chose. Il y avait beaucoup de troupes, de l’infanterie, de l’artillerie, de la cavalerie, des équipages du train. On entendait des sonneries. On voyait