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Cette journée du 18, à midi, nous étions à Hettstadt. Il avait fallu traverser la Wipper, qu’au régiment on n’eût pas manqué d’appeler la Vipère, non loin d’une exploitation de mines de cuivre. Vers trois heures, la berline arrivait à Leimbach, au confluent de la Wipper et du Thalbach — encore un nom plaisant pour les loustics du Royal-Picardie. Après avoir dépassé Mansfeld, dominé par une haute colline qu’un rayon de soleil caressait au milieu de la pluie, puis Sangerhausen, sur la Gena, notre attelage roula à travers un pays riche en mines, avec les dentelures du Harz à l’horizon, et, au jour défaillant, atteignit Artern, bâtie sur l’Unstrüt.

La journée avait été vraiment fatigante — près de quinze lieues, coupées par une seule halte. Je fis donc bien soigner mes chevaux, bonne nourriture en arrivant, bonne litière pour la nuit. Par exemple, cela coûtait gros. Mais M. de Lauranay ne regardait pas à quelques kreutzers de supplément, et il avait raison. Quand les chevaux n’ont pas mal aux pieds, les voyageurs ne risquent pas d’avoir mal aux jambes.

Le lendemain, partis à huit heures seulement, après avoir eu quelques difficultés avec l’aubergiste. Je sais bien que l’on n’a rien sans rien. Mais je donne le propriétaire de l’hôtel d’Artern comme un des plus féroces écorcheurs de l’empire germanique.

Pendant cette journée, le temps fut détestable. Un gros orage éclata. Les éclairs nous aveuglaient. De violents roulements de tonnerre effrayaient nos bêtes, trempées sous une pluie torrentielle, — une de ces pluies dont on dit chez nous qu’il tombe des curés.

Le lendemain, 19 août, temps de meilleure apparence. La campagne était baignée de rosée sous le souffle de l’aure, qui est l’avant-brise du matin. Pas de pluie. Un ciel toujours orageux, une chaleur accablante. Le sol était montueux. Mes chevaux se fatiguaient. Bientôt, je le prévoyais, je serais obligé de leur donner vingt-quatre heures de repos. Mais auparavant, j’espérais que nous aurions pu atteindre Gotha.

La route traversait alors des terrains assez bien cultivés qui s’étendent jusqu’à Heldmungen, sur la Schmuke, où la berline fit halte.