Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyais ces cavaliers autrichiens, des espèces de barbares. Ils allaient à fond de train. Ce fut un énorme nuage de poussière qui s’éleva vers le ciel, et dans ce tourbillon miroitaient les reflets rouges des manteaux et la tache noirâtre du bonnet en peau de mouton de ces sauvages.

Bien nous prit d’être alors garés sur le côté de la route, à l’abri de la lisière d’un petit bois de bouleaux, où j’avais remisé la voiture. On ne nous vit pas. Avec de pareils sacs à diables, on ne sait guère ce qui serait arrivé. Nos chevaux auraient pu convenir à ces pandours, et notre berline à leurs officiers. Assurément, si nous avions été sur la route, ils n’auraient pas attendu qu’on leur fit place, et ils nous eussent balayés.

Vers quatre heures du soir, je signalai à M. de Lauranay un point assez élevé, qui dominait la plaine à une bonne lieue dans la direction de l’ouest.

« Ce doit être le château-fort de Bernsbourg », me répondit-il.

En effet, ce château, situé au sommet d’une colline, se laisse apercevoir d’assez loin.

Je pressai les chevaux. Une demi-heure après, nous traversâmes Bernsbourg, où nos papiers furent vérifiés. Puis, très fatigués de cette journée orageuse, après avoir traversé dans un bac la rivière de Saale que nous devions couper encore une fois, nous entrions à Alstleben, vers dix heures du soir. La nuit fut bonne. Nous étions logés dans un hôtel assez convenable, où il ne se trouvait pas d’officiers prussiens, — ce qui assurait notre tranquillité, — et nous en repartions le lendemain, dès dix heures tapant.

Je ne m’arrêterai pas à donner des détails sur les villes, bourgades et villages. Nous n’en voyions que peu de choses, ne voyageant pas pour notre agrément, mais comme des gens qu’on expulse d’un pays qu’ils abandonnent sans regrets, d’ailleurs.

L’important, dans ces diverses localités, était qu’il ne nous arrivât rien de fâcheux, et que nous pussions passer librement de l’une à l’autre.