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journal du passager j.-r. kazallon.

incessamment, ces flots qui leur paraissent alors aussi redoutables que l’ont été les flammes.

Cependant, l’équipage travaille toujours sous les menaces de Robert Kurtis, et, bon gré mal gré, les matelots luttent avec énergie, mais ils sont à bout de forces. D’ailleurs, ils ne peuvent épuiser cette eau qui se renouvelle sans cesse et dont le niveau s’élève d’heure en heure. Ceux qui manœuvrent les seaux sont bientôt obligés de quitter la cale, où, déjà immergés jusqu’à la ceinture, ils risquent d’être noyés, et ils remontent sur le pont.

Une seule ressource reste alors, et, le lendemain 4, après un conseil tenu entre le lieutenant, le bosseman et le capitaine Kurtis, la résolution est adoptée d’abandonner le navire. Puisque la baleinière, la seule embarcation qui reste, ne peut nous contenir tous, un radeau va être immédiatement établi. L’équipage continuera de manœuvrer les pompes jusqu’au moment où ordre sera donné d’embarquer.

Le charpentier Daoulas est prévenu, et il est convenu que le radeau sera construit sans retard avec les vergues de rechange et les bois de la drôme, préalablement sciés à la longueur nécessaire. La mer, relativement calme en ce moment, facilitera cette opération, toujours difficile, même dans les circonstances les plus favorables.

Donc, sans perdre de temps, Robert Kurtis, l’ingénieur Falsten, le charpentier et dix matelots, munis de scies et de haches, disposent et taillent les vergues avant de les lancer à la mer. De cette manière, ils n’auront plus qu’à les lier fortement et à disposer un bâtis solide sur lequel reposera la plate-forme du radeau, qui mesurera environ quarante pieds de long sur vingt à vingt-cinq de large.

Nous autres passagers et le reste de l’équipage, nous sommes toujours aux pompes. Près de moi se tient André Letourneur, que son père ne cesse de regarder avec une profonde émotion. Que deviendra son fils, s’il lui faut lutter contre les flots, dans des circonstances où un homme bien constitué ne se sauverait pas sans peine ? En tout cas, nous serons deux qui ne l’abandonnerons pas.

On a caché l’imminence du danger à Mrs. Kear, qu’un long assoupissement tient à peu près sans connaissance.

Plusieurs fois, miss Herbey a paru sur le pont, pendant quelques instants seulement. Les fatigues l’ont pâlie, mais elle est toujours forte. Je lui recommande de se tenir prête à tout événement.

« Je suis toujours prête, monsieur, » me répond la courageuse jeune fille qui retourne aussitôt près de Mrs. Kear.