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journal du passager j.-r. kazallon.

dronnées. Peut-être parviendra-t-il ainsi à intercepter toute communication, provisoirement au moins, entre le dedans et le dehors. Si l’entrée de l’eau est momentanément arrêtée, on pourra pomper plus efficacement et sans doute relever le navire.

L’opération est plus difficile qu’on ne l’imagine. Il faut d’abord diminuer la vitesse du bâtiment, et, après que de fortes voiles, maintenues par des cartahus, ont été coulées sous la quille, on les fait glisser jusqu’à l’endroit où s’ouvrait l’ancienne voie d’eau, de manière à envelopper complètement cette partie de la coque du Chancellor.

Depuis ce moment, les pompes gagnent un peu, et nous nous sommes remis au travail avec courage. Sans doute, l’eau pénètre encore, mais en quantité moindre, et, à la fin de la journée, il est constant que le niveau s’est abaissé de quelques pouces. Quelques pouces seulement ! N’importe ! Les pompes, maintenant, rejettent plus d’eau par les dalots qu’il n’en entre dans la cale, et on ne les abandonne pas un seul instant.

Le vent fraîchit assez vivement pendant la nuit, qui est obscure. Cependant, le capitaine Kurtis a voulu conserver le plus de toile possible. Il sait bien que la coque du Chancellor est très-insuffisamment garantie, et il a hâte d’arriver en vue de terre. Si quelque bâtiment passait au large, il n’hésiterait pas à faire des signaux de détresse, à débarquer ses passagers, son équipage même, dût-il rester seul à bord jusqu’au moment où le Chancellor sombrerait sous ses pieds.

Mais toutes ces mesures ne devaient pas aboutir.

En effet, pendant la nuit, l’enveloppe de toile a cédé à la pression extérieure, et le lendemain, 3 décembre, le bosseman, après avoir sondé, n’a pu retenir ces mots, accompagnés de jurons :

« Encore six pieds d’eau dans la cale ! »

Le fait n’est que trop certain ! Le navire se remplit de nouveau, il s’enfonce visiblement, et déjà sa ligne de flottaison est sensiblement noyée.

Cependant, nous manœuvrons les pompes avec plus de courage que jamais, et nous y usons nos dernières forces. Nos bras sont rompus, nos doigts saignent, mais, malgré tant de fatigues, nous sommes gagnés par l’eau. Robert Kurtis fait alors établir une chaîne à l’ouverture du grand panneau, et les seaux passent rapidement de mains en mains.

Tout est inutile ! À huit heures et demie du matin, on constate encore un nouvel accroissement d’eau dans la cale. Le désespoir s’empare alors de quelques-uns des matelots. Robert Kurtis leur enjoint de continuer à travailler. Ils refusent.