Page:Verne - Le Chancellor - Martin Paz, Hetzel, 1876.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.
69
journal du passager j.-r. kazallon.

Les matelots vont chercher des pics, et Daoulas, dirigé par Falsten, commence à creuser un fourneau de mine, suivant la direction qui doit produire le meilleur effet. Tout nous permet d’espérer que ce fourneau sera achevé dans la nuit, et que demain, au lever du jour, l’explosion ayant produit l’effet attendu, la passe sera rendue libre.

On sait que l’acide picrique est un produit cristallin et amer, extrait du goudron de houille, et qu’il forme en se combinant avec la potasse un sel jaune, qui est le picrate de potasse. La puissance explosive de cette substance est inférieure à celle du fulmi-coton et de la dynamite, mais elle est très-supérieure à celle de la poudre ordinaire[1]. Quant à son inflammation, on peut facilement la provoquer sous l’influence d’un choc violent et sec, et nous y arriverons aisément au moyen d’amorces de fulminate.

Le travail de Daoulas, aidé de ses hommes, a été conduit avec ardeur, mais quand le jour arrive, il est loin d’être achevé. En effet, il n’est possible de creuser le fourneau qu’au moment de la basse mer, c’est-à-dire pendant une heure à peine. Il s’ensuit donc que quatre marées seront nécessaires pour lui donner la profondeur voulue.

Ce n’est que le 23, au matin, que l’opération est enfin terminée. Le radier de basalte est percé d’un trou oblique, qui peut contenir une dizaine de livres du sel explosif, et ce fourneau de mine va être immédiatement chargé. Il est huit heures environ.

Au moment d’introduire le picrate dans le trou, Falsten nous dit :

« Je pense que nous devrions le mélanger avec de la poudre ordinaire. Cela nous permettra d’allumer la mine avec une mèche, au lieu d’une amorce dont il faudrait déterminer l’explosion par un choc, et ce sera plus facile. En outre, il est constant que l’emploi simultané de la poudre et du picrate est meilleur pour provoquer l’éclatement des roches dures. Le picrate, très-violent de sa nature, préparera la voie à la poudre, qui, plus lente à s’enflammer et plus mesurée, disjoindra ensuite ce basalte. »

L’ingénieur Falsten ne parle pas souvent, mais il faut convenir que, quand il parle, il parle bien. Son conseil est suivi. On mélange les deux substances, et, après avoir préalablement introduit une mèche jusqu’au fond du trou, on y verse le mélange, qui est convenablement bourré.

Le Chancellor est assez éloigné de la mine pour qu’il n’ait rien à craindre de l’explosion. Cependant, par précaution, passagers et équipage se sont réfugiés à


  1. 1 gramme de poudre picrique produit l’effet de 13 grammes de poudre ordinaire.