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martin paz.

VIII

Sarah, cependant, en proie aux plus vives angoisses, était demeurée seule. Elle ne pouvait s’arracher de sa chambre. Un instant, suffoquée par l’émotion, elle s’appuya au balcon qui donnait sur les jardins intérieurs.

Soudain, elle aperçut un homme qui se glissait entre les allées de magnolias. Elle reconnut Liberta, son serviteur. Liberta semblait épier quelque invisible ennemi, tantôt s’abritant derrière une statue, tantôt se couchant à terre.

Tout à coup, Sarah pâlit. Liberta était aux prises avec un homme de grande taille qui l’avait terrassé, et quelques soupirs étouffés prouvaient qu’une main robuste pressait les lèvres du nègre.

La jeune fille allait crier, lorsqu’elle vit se redresser les deux hommes. Le nègre regardait son adversaire.

« Vous ! vous ! c’est vous ! » dit-il.

Et il suivit cet homme, qui, avant que Sarah eût pu jeter un seul cri, lui apparut ainsi qu’un fantôme de l’autre monde. Et, comme le nègre terrassé sous le genou de l’Indien, la jeune fille, courbée sous le regard de Martin Paz, ne put à son tour laisser échapper que ces mots :

« Vous ! vous ! c’est vous ! »

Martin Paz fixa son regard sur elle et lui dit :

« La fiancée entend-elle les bruits de la fête ? Les invités se pressent dans les salons pour voir rayonner le bonheur sur son visage ! Est-ce donc une victime, préparée pour le sacrifice, qui va s’offrir à leurs yeux ? Est-ce avec ces traits pâlis par la douleur que la jeune fille peut se présenter à son fiancé ? »

Pendant que Martin Paz parlait, Sarah l’entendait à peine.

Le jeune Indien reprit alors :

« Puisque la jeune fille est en pleurs, qu’elle regarde plus loin que la maison de son père, plus loin que la ville où elle souffre ! »

Sarah releva la tête. Martin Paz s’était redressé de toute sa hauteur, et, le bras étendu vers le sommet des Cordillères, il montrait à la jeune fille le chemin de la liberté.

Sarah se sentit entraînée par une puissance insurmontable. Déjà le bruit de quelques voix arrivait jusqu’à elle. On s’approchait de sa chambre. Son père