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martin paz.

— Bien, Manangani ! reprit le Sambo. C’est le Dieu de la haine qui parle par ta bouche ! Mes frères sauront avant peu celui que leurs chefs auront choisi. Le président Gambarra ne cherche qu’à se consolider au pouvoir, Bolivar est loin, Santa-Cruz est chassé. Nous pouvons agir à coup sûr. Dans quelques jours, la fête des Amancaës appellera nos oppresseurs au plaisir. Donc, que chacun soit prêt à se mettre en marche, et que la nouvelle en arrive jusqu’aux villages les plus reculés de la Bolivie ! »

En ce moment, trois Indiens pénétrèrent dans la grande salle. Le Sambo marcha vivement à eux :

« Eh bien ? leur demanda-t-il.

— Le corps de Martin Paz n’a pu être retrouvé, répondit un de ces Indiens. Nous avons sondé la rivière dans tous les sens, nos plus habiles plongeurs l’ont explorée avec soin, et nous pensons que le fils du Sambo ne peut avoir péri dans les eaux de la Rimac.

— L’ont-ils donc tué ? Qu’est-il devenu ? Oh ! malheur à eux, s’ils ont tué mon fils !… Que mes frères se séparent en silence ! Que chacun retourne à son poste, regarde, veille et attende ! »

Les Indiens sortirent et se dispersèrent. Le Sambo demeura seul avec Manangani, qui lui demanda :

« Le Sambo sait-il quel sentiment conduisait, ce soir-là, son fils au quartier de San-Lazaro ? Le Sambo est-il sûr de son fils ? »

Un éclair jaillit des yeux de l’Indien. Manangani recula.

Mais l’Indien se contint et dit :

« Si Martin Paz trahissait ses frères, je tuerais d’abord tous ceux auxquels il a donné son amitié, toutes celles auxquelles il a donné son amour. Puis, je le tuerais lui-même, et je me tuerais ensuite, pour ne rien laisser sous le soleil d’une race déshonorée ! »

En ce moment, l’hôtesse ouvrit la porte de la salle, s’avança vers le Sambo et lui remit un billet à son adresse.

« Qui vous a donné cela ? dit-il.

— Je ne sais, répondit l’hôtesse. Ce papier aura été oublié à dessein par un buveur, car je l’ai trouvé sur une table.

— Il n’est venu que des Indiens ici ?

— Il n’est venu que des Indiens. »

L’hôtesse sortit. Le Sambo déploya le billet et lut à haute voix :

« Une jeune fille a prié pour Martin Paz, car elle n’oublie pas l’Indien qui a risqué sa vie pour elle ! Si le Sambo a quelque nouvelle de son fils, ou quelque