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martin paz.

Après avoir minutieusement examiné ses auditeurs, le Sambo reprit la parole :

« Les fils du Soleil peuvent causer de leurs affaires. Il n’est pas d’oreille perfide qui puisse les entendre. Sur la place, quelques-uns de nos amis, déguisés en chanteurs des rues, attirent les passants autour d’eux, et nous jouissons d’une liberté entière. »

En effet, les sons d’une mandoline retentissaient au-dehors.

Les Indiens de l’auberge, se sachant en sûreté, prêtèrent donc une attention extrême aux paroles du Sambo, en qui ils mettaient toute leur confiance.

« Quelles nouvelles de Martin Paz le Sambo peut-il nous donner ? demanda un Indien.

— Aucune. Est-il mort, ou non ?… C’est ce que le Grand-Esprit peut seul savoir. J’attends quelques-uns de nos frères, qui ont descendu le fleuve jusqu’à son embouchure. Peut-être auront-ils trouvé le corps de Martin Paz !

— C’était un bon chef ! dit Manangani, farouche Indien, fort redouté. Mais pourquoi n’était-il pas à son poste, le jour où la goëlette nous apportait des armes ? »

Le Sambo ne répondit pas et baissa la tête.

« Mes frères, reprit Manangani, ne savent-ils pas qu’il y a eu échange de coups de fusil entre l’Annonciacion et les garde-côtes, et que la prise de ce bâtiment eût fait échouer tous nos plans ? »

Un murmure approbateur accueillit les paroles de l’Indien.

« Ceux de mes frères qui voudront attendre pour juger seront les bienvenus ! reprit le Sambo. Qui sait si mon fils, Martin Paz, ne reparaîtra pas quelque jour !… Écoutez maintenant : les armes qui nous ont été envoyées de Sechura sont en notre pouvoir ; elles sont cachées dans les montagnes des Cordillères, et prêtes à faire leur office, quand vous serez préparés à faire votre devoir !

— Et qui nous retarde ? s’écria un jeune Indien. Nous avons aiguisé nos couteaux, et nous attendons.

— Laissez venir l’heure, répondit le Sambo. Mes frères savent-ils quel ennemi leur bras doit frapper d’abord ?

— Ce sont ces métis qui nous traitent en esclaves, dit un des assistants, ces insolents qui nous frappent de la main et du fouet, comme les mules rétives !

— Non pas, répondit un autre, ce sont les accapareurs de toutes les richesses du sol !

— Vous vous trompez, et vos premiers coups doivent porter ailleurs ! reprit le Sambo en s’animant. Ces hommes ne sont pas ceux qui ont osé, il y a trois