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martin paz.

cour ; mais, suivant la coutume, ces pavillons n’avaient aucune fenêtre percée sur la rue.

Onze heures sonnaient à l’église paroissiale, quand Martin Paz s’arrêta devant la demeure de Sarah. Un profond silence régnait aux alentours.

Pourquoi l’Indien demeurait-il immobile devant ces murs ? C’est qu’une ombre blanche avait apparu sur la terrasse au milieu de ces fleurs auxquelles la nuit ne laissait plus qu’une forme vague, sans leur rien enlever de leurs parfums.

Martin Paz leva ses deux mains involontairement et les joignit avec adoration.

Soudain l’ombre blanche s’affaissa, comme effrayée. Martin Paz se retourna et se trouva face à face avec André Certa.

« Depuis quand les Indiens passent-ils ainsi la nuit en contemplation ? demanda André Certa avec colère.

— Depuis que les Indiens foulent aux pieds le propre sol de leurs ancêtres, » répondit Martin Paz.

André Certa fit un pas vers son rival, immobile.

« Misérable ! me laisseras-tu la place libre ?

— Non, » dit Martin Paz. Et deux poignards brillèrent au bras droit des deux adversaires. Ils étaient d’égale taille, et ils semblaient d’égale force.

André Certa leva rapidement son bras, qu’il laissa retomber plus rapidement encore. Son poignard avait rencontré le poignard malais de l’Indien, et il roula aussitôt à terre, frappé à l’épaule.

« À l’aide ! à moi ! » cria-t-il.

La porte de la maison du juif s’ouvrit. Des métis accoururent d’une maison voisine. Les uns poursuivirent l’Indien, qui prit rapidement le large ; les autres relevèrent le blessé.

« Quel est cet homme ? dit l’un d’eux. Si c’est un marin, à l’hôpital du Saint-Esprit. Si c’est un Indien, à l’hôpital de Sainte-Anne. »

Un vieillard s’approcha du blessé, et à peine l’eut-il vu, qu’il s’écria :

« Que l’on transporte ce jeune homme chez moi. Voilà un étrange malheur ! »

Ce vieillard était le juif Samuel, et il venait de reconnaître dans le blessé le fiancé de sa fille.

Cependant, Martin Paz, grâce à l’obscurité et à la rapidité de sa course, espérait échapper à ceux qui le poursuivaient. Il y allait de sa vie. S’il avait pu gagner la campagne, il eût été en sûreté ; mais les portes de la ville, fermées à onze heures du soir, ne se rouvraient que vers les quatre heures du matin.

Il arriva sur le pont de pierre qu’il avait déjà traversé. En ce moment, les métis et quelques soldats, qui s’étaient joints à eux, le pressaient de près. Par