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martin paz.

— Étranges comme votre conduite ! Que dirait mon maître Samuel, s’il apprenait ce qui s’est passé ce soir ?

— Est-ce parce qu’un muletier brutal m’a insultée que je suis coupable ?

— Je m’entends, señora, fit la vieille en branlant la tête, et ne veux point parler du muletier.

— Alors ce jeune homme a mal agi en me défendant contre les injures de la populace ?

— Est-ce la première fois que cet Indien se trouve sur votre passage ? » demanda la duègne.

Le visage de la jeune fille était heureusement abrité par sa mante, car l’obscurité n’aurait pas suffi à dérober son trouble au regard inquisiteur de la vieille suivante.

« Mais laissons l’Indien où il est, reprit celle-ci. C’est mon affaire de veiller sur lui. Ce dont je me plains, c’est que, pour ne point déranger ces chrétiens, vous ayez voulu demeurer à leur oraison. N’avez-vous pas eu quelque envie de vous agenouiller comme eux ? Ah ! señora, votre père me chasserait à l’instant, s’il apprenait que j’eusse souffert une pareille apostasie ! »

Mais la jeune fille ne l’écoutait plus. La remarque de la vieille au sujet du jeune Indien l’avait ramenée à des pensées plus douces. Il lui semblait que l’intervention du jeune homme avait été providentielle, et plusieurs fois elle se retourna pour voir s’il ne la suivait pas dans l’ombre. Sarah avait dans le cœur une certaine hardiesse qui lui seyait à merveille. Superbe comme une Espagnole, si elle avait fixé ses regards sur cet homme, c’est que cet homme était fier et n’avait pas mendié un coup d’œil pour prix de sa protection.

En s’imaginant que l’Indien ne l’avait pas quittée des yeux, Sarah ne se trompait guère. Martin Paz, après avoir secouru la jeune fille, voulut assurer sa retraite. Aussi, lorsque les promeneurs se furent dispersés, il se mit à la suivre, sans être aperçu d’elle.

C’était un beau jeune homme, ce Martin Paz, et qui portait avec noblesse le costume national de l’Indien des montagnes ; de son chapeau de paille à larges bords s’échappait une belle chevelure noire, dont les boucles s’harmonisaient avec le ton cuivré de sa figure. Ses yeux brillaient avec une douceur infinie, et son nez surmontait une jolie bouche, ce qui est rare chez les hommes de sa race. C’était un de ces courageux descendants de Manco-Capac, et ses veines devaient être remplies de ce sang plein d’ardeur qui pousse à l’accomplissement des grandes choses.

Martin Paz était fièrement drapé dans son poncho aux couleurs éclatantes ; à