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martin paz.

C’était celui du marquis don Végal, chevalier d’Alcantara, de Malte et de Charles III. Mais ce grand seigneur ne venait là que par ennui, et non par ostentation. De tristes pensées se concentraient sous son front péniblement courbé, et il n’entendit même pas les envieuses réflexions des métis, quand ses quatre chevaux se frayèrent un passage à travers la foule.

« Je hais cet homme ! dit André Certa.

— Tu ne le haïras pas longtemps ! lui répondit un des jeunes cavaliers.

— Non, car tous ces nobles étalent les dernières splendeurs de leur luxe, et je puis dire où vont leur argenterie et leurs bijoux de famille !

— Oui ! Tu en sais quelque chose, toi qui fréquentes la maison du juif Samuel !

— Et là, sur les livres de comptes du vieux juif s’inscrivent les créances aristocratiques, et dans son coffre-fort s’entassent les débris de ces grandes fortunes ! Et le jour où tous ces Espagnols seront gueux comme leur César de Bazan, nous aurons beau jeu !

— Toi surtout, André, lorsque tu seras monté sur tes millions ! répondit Millaflores. Et tu vas encore doubler ta fortune !… Ah ça ! Quand épouses-tu cette belle jeune fille du vieux Samuel, qui est Liménienne jusque dans le bout des ongles et qui n’a évidemment de juif que son nom de Sarah ?

— Dans un mois, répondit André Certa, et dans un mois il n’y aura pas de fortune au Pérou qui puisse lutter avec la mienne !

— Mais pourquoi, demanda un des jeunes métis, ne pas avoir épousé une Espagnole de haut parage ?

— Je méprise ces sortes de gens autant que je les hais ! »

André Certa ne voulait pas avouer qu’il avait été pitoyablement éconduit de plusieurs nobles familles dans lesquelles il avait tenté de s’introduire.

En ce moment, André Certa fut vivement coudoyé par un homme de haute taille, aux cheveux grisonnants, mais dont les membres trapus attestaient la force musculaire.

Cet homme, un Indien des montagnes, était vêtu d’une veste brune qui laissait passer une chemise de grosse toile à large col et s’ouvrait sur sa poitrine velue ; sa culotte courte, rayée de bandes vertes, se rattachait par des jarretières rouges à des bas d’une couleur terreuse ; il avait aux pieds des sandales faites de cuir de bœuf, et sous son chapeau pointu brillaient de larges boucles d’oreilles.

Après avoir heurté André Certa, il le regarda fixement.

« Misérable Indien ! » s’écria le métis en levant la main,