jeune fille lirait ma résolution dans mes yeux ! Elle me parlerait de Dieu, de l’autre vie qu’il faut attendre ! Attendre, je n’en ai plus le courage… Dieu me pardonne !
Je reviens vers l’arrière du radeau, et, après de longs efforts, je parviens à me dresser debout près du mât. Une dernière fois, je parcours du regard cette mer impitoyable, cet horizon qui ne se déplace pas ! Une terre m’apparaîtrait, une voile s’élèverait au-dessus des flots, que je me croirais le jouet d’une illusion… Mais la mer est déserte !
Il est dix heures du matin. C’est le moment d’en finir. Les tiraillements de la faim, les aiguillons de la soif me déchirent avec une nouvelle violence. L’instinct de la conservation s’éteint en moi. Dans quelques instants, j’aurai fini de souffrir !… Que Dieu me prenne en pitié !
En ce moment, une voix s’élève. Je reconnais la voix de Daoulas.
Le charpentier est près de Robert Kurtis.
« Capitaine, dit-il, nous allons tirer au sort. »
Au moment de me jeter à la mer, je m’arrête. Pourquoi ? je ne saurais le dire, mais je reviens à l’arrière du radeau.
liii
— 26 janvier. — La proposition a été faite. Tous l’ont entendue, et tous l’ont comprise. Depuis quelques jours, c’était devenu une idée fixe, que personne n’osait formuler.
On va tirer au sort.
Celui que le sort désignera, chacun en aura sa part.
Eh bien, soit ! Si le sort me désigne, je ne me plaindrai pas.
Il me semble qu’une exception est proposée en faveur de miss Herbey, et que c’est André Letourneur qui l’a faite. Mais un murmure de colère court parmi les matelots. Nous sommes onze à bord, chacun de nous a donc dix chances pour lui, une contre, et l’exception proposée changerait cette proportion. Miss Herbey subira le sort commun.
Il est alors dix heures et demie du matin. Le bosseman, que la proposition de Daoulas a ranimé, insiste pour que le tirage soit fait immédiatement. Il a raison. D’ailleurs, nul de nous ne tient à la vie. Celui qui sera désigné ne devancera