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le chancellor.

de la première barrique étant épuisé, je vais puiser à la seconde barrique, qui est encore intacte, quand Owen se redresse sur les genoux, et d’une voix qui n’est plus une voix humaine, crie :

« Non ! non ! non ! »

Pourquoi ce non ? Je reviens près d’Owen, et je lui explique ce que je veux faire. Plus énergiquement encore, il me répond qu’il ne veut pas boire de cette eau.

J’essaye alors de provoquer les vomissements du malheureux en lui titillant la luette, et bientôt il rend des matières bleuâtres. Il n’est que trop certain qu’Owen a été empoisonné avec un sulfate de cuivre, avec de la couperose, et, quoi que l’on fasse, Owen est perdu !

Mais comment s’est-il empoisonné ? Les vomissements lui ont procuré quelque répit. Il peut enfin parler. Le capitaine et moi, nous l’interrogeons…

Je n’essayerai pas de décrire l’impression qu’a produite sur nous la réponse de ce malheureux !

Owen, poussé par une soif atroce, a volé quelques pintes d’eau de la barrique intacte !… L’eau de cette barrique est empoisonnée !

xliii

Du 11 au 14 janvier. — Owen est mort dans la nuit, au milieu de secousses tétaniques qui ont atteint un rare degré de violence.

Il n’est que trop vrai ! La barrique empoisonnée a contenu autrefois de la couperose. C’est un fait évident. Maintenant, par quelle fatalité cette barrique a-t-elle été convertie en une pièce à eau, et par quelle fatalité plus déplorable encore l’a-t-on prise pour l’embarquer sur le radeau ?… Peu importe. Ce qui est certain, c’est que nous n’avons plus d’eau.

Le corps d’Owen a dû être jeté à la mer, car il est immédiatement tombé en décomposition. Le bosseman n’aurait même pas pu amorcer ses lignes avec des chairs qui n’avaient plus aucune consistance. La mort de ce misérable ne nous aura pas même été utile !

Tous, nous connaissons la situation telle qu’elle est actuellement, et nous restons silencieux. Que pourrions-nous dire ? D’ailleurs, le son de nos voix nous est excessivement pénible à entendre. Devenus très-irritables, il vaut mieux