En ce moment, — il est midi, — l’un de nos compagnons vient d’être pris de douleurs aiguës qui lui arrachent des cris. C’est le misérable Owen, qui, couché sur l’avant, se tord au milieu de convulsions épouvantables.
Je me traîne près d’Owen. Quelle qu’ait été sa conduite, l’humanité commande de voir s’il est possible de lui apporter quelque soulagement.
Mais voici que le matelot Flaypol pousse un cri. Je me retourne.
Flaypol est debout, monté sur les ailiers du mât, et sa main se dirige à l’est vers un point de l’horizon.
« Navire ! » crie-t-il.
Nous sommes tous sur pied. Un silence absolu règne sur le radeau. Owen, retenant ses cris, se redresse comme les autres.
Dans la direction indiquée par Flaypol apparaît un point blanc, en effet. Mais ce point se déplace-t-il ? Est-ce une voile ? Qu’en pensent ces marins, dont la vue est si perçante ?
J’observe Robert Kurtis, qui, les bras croisés, examine le point blanc. Ses joues sont saillantes, toutes les parties de sa face remontent par suite de la contraction de l’orbiculaire, son sourcil se fronce, ses yeux sont à demi fermés, et il met dans son regard toute la puissance de vision dont il est capable. Si ce point blanc est une voile, il ne s’y trompera pas.
Mais il secoue la tête, et ses bras retombent.
Je regarde. Le point blanc n’est plus là. Ce n’est pas un navire, c’est un reflet quelconque, une crête de lame qui a déferlé, — ou, si c’est un navire, le navire a disparu !
De quel abattement est suivi ce moment d’espoir ! Tous, nous avons repris notre place accoutumée. Robert Kurtis reste immobile, mais il n’observe plus l’horizon.
Alors les cris d’Owen recommencent avec plus de violence que jamais. Tout son corps est tordu par une horrible douleur, et son aspect est véritablement effrayant. Sa gorge est rétrécie par une contraction spasmodique, sa langue sèche, son abdomen ballonné, son pouls petit, fréquent, irrégulier. Le malheureux éprouve de violents mouvements convulsifs et même des secousses tétaniques. À ces symptômes, il ne peut y avoir le moindre doute : Owen a été empoisonné par un oxyde de cuivre.
Nous n’avons pas les médicaments nécessaires pour neutraliser les effets de ce poison. Cependant, on peut provoquer des vomissements pour évacuer les matières contenues dans l’estomac d’Owen. L’eau tiède doit amener ce résultat. Je demande à Robert Kurtis un peu d’eau. Le capitaine y consent. Le liquide