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journal du passager j.-r. kazallon.

une fois serré la main. Miss Herbey a pu reposer également ; ses traits, moins fatigués, ont repris leur calme habituel.

Nous sommes au-dessous du onzième parallèle. La chaleur pendant le jour est extrêmement forte, et le soleil brille d’un vif éclat. Une sorte de vapeur ardente est mêlée à l’atmosphère. Comme la brise ne vient que par bouffées, la voile pend sur le mât pendant les accalmies, qui se prolongent trop longtemps. Mais Robert Kurtis et le bosseman, à certains indices que des marins seuls peuvent reconnaître, pensent qu’un courant de deux à trois milles à l’heure nous entraîne dans l’ouest. Ce serait là une circonstance favorable, qui pourrait abréger considérablement notre traversée. Puissent le capitaine et le bosseman ne s’être pas trompés, car, dès ces premiers jours et par cette température élevée, la ration d’eau suffit à peine à calmer notre soif !

Et cependant, depuis que nous avons quitté le Chancellor ou plutôt les hunes du navire pour embarquer sur ce radeau, la situation a été véritablement améliorée. Le Chancellor pouvait à chaque minute s’engloutir, et, du moins, cette plate-forme, que nous occupons, est relativement solide. Oui, je le répète, la situation s’est notablement détendue, et, par comparaison, chacun se trouve mieux. On a presque ses aises, on peut aller et venir. Le jour, on se réunit, on cause, on discute, on regarde la mer. La nuit, on dort à l’abri des voiles. L’observation de l’horizon, la surveillance des lignes qui sont mises à la traîne, tout intéresse.

« Monsieur Kazallon, me dit André Letourneur quelques jours après notre installation sur ce nouvel appareil, il me semble que nous retrouvons ici ces jours de calme qui ont marqué notre séjour sur l’îlot de Ham-Rock !

— En effet, mon cher André, ai-je répondu.

— Mais j’ajoute que le radeau a un avantage considérable sur l’îlot, car il marche, lui !

— Tant que le vent est bon, André, l’avantage est évidemment au radeau, mais si le vent tourne…

— Bon, monsieur Kazallon ! répond le jeune homme. Ne nous laissons pas abattre, et ayons confiance ! »

Eh bien ! cette confiance, nous l’avons tous ! Oui ! il semble que nous soyons sortis des redoutables épreuves pour n’y plus rentrer ! Les circonstances sont devenues plus favorables. Il n’est pas un de nous qui ne se sente presque rassuré !

Je ne sais ce qui se passe dans l’âme de Robert Kurtis, et je ne puis dire s’il partage nos idées actuelles. Il se tient le plus souvent à l’écart. C’est que