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journal du passager j.-r. kazallon.

La petite brise qui souffle en ce moment, et dont le capitaine relève la direction au compas, s’est accrue en halant le nord. C’est une circonstance heureuse. Il faut se hâter d’en profiter pour rallier le plus tôt possible la côte américaine. Le charpentier Daoulas s’est occupé alors d’installer le mât dont l’emplanture a été ménagée à l’avant du radeau, et il a disposé deux ailiers, sortes d’arcs-boutants qui doivent le maintenir plus solidement. Tandis qu’il travaille, le bosseman et les matelots enverguent le petit cacatois sur la vergue qui a été réservée à cet usage.

À neuf heures et demie, le mât est dressé. Des haubans, raidis sur les côtés du radeau, en assurent la solidité. La voile est hissée, amurée, bordée, et l’appareil, poussé vent arrière, se déplace assez sensiblement sous l’action de la brise qui fraîchit encore.

Cette besogne une fois terminée, le charpentier cherche à installer un gouvernail qui permette au radeau de garder la direction voulue. Les conseils de Robert Kurtis et de l’ingénieur Falsten ne lui manquent pas. Après deux heures de travail, une sorte de godille est établie à l’arrière, — à peu près semblable à celles qu’emploient les balaous malais.

Pendant ce temps, le capitaine Kurtis a fait les observations nécessaires pour obtenir exactement sa longitude, et, quand midi arrive, il prend une bonne hauteur du soleil.

Le point qu’il obtient avec une assez grande exactitude est le suivant :

Latitude, 15° 7′ nord.
Longitude, 49° 35′ à l’ouest de Greenwich.

Ce point, rapporté sur la carte, montre que nous sommes environ à six cent cinquante milles dans le nord-est de la côte de Paramaribo, c’est-à-dire de la portion la plus rapprochée du continent américain, qui, ainsi que cela a été déjà noté, forme le littoral de la Guyane hollandaise.

Or, en prenant la moyenne des chances, nous ne pouvons espérer, même avec l’aide constante des alizés, faire plus de dix à douze milles par jour, sur un appareil aussi imparfait qu’un radeau qui ne peut biaiser avec le vent. Cela demandera donc deux mois de navigation, en supposant les circonstances les plus heureuses, — sauf le cas, peu probable, où nous serions rencontrés par quelque bâtiment. Mais l’Atlantique est moins fréquenté dans cette partie qu’il ne l’est plus au nord ou plus au sud. Nous avons été rejetés, malheureusement, entre les lignes des Antilles et celles du Brésil que suivent les transatlantiques