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projection des branches en telle ou telle direction, dénivellation du sol, teinte des écorces, nuance variée des mousses selon qu’elles sont exposées aux vents du sud ou du nord. Nic Deck était trop habile en son métier, il l’exerçait avec une sagacité trop supérieure, pour se jamais perdre, même en des localités inconnues de lui. Il eût été le digne rival d’un Bas-de-Cuir ou d’un Chingachgook au pays de Cooper.

Et, pourtant, la traversée de cette zone d’arbres allait offrir de réelles difficultés. Des ormes, des hêtres, quelques-uns de ces érables qu’on nomme « faux platanes », de superbes chênes, en occupaient les premiers plans jusqu’à l’étage des bouleaux, des pins et des sapins, massés sur les croupes supérieures à la gauche du col. Magnifiques, ces arbres, avec leurs troncs puissants, leurs branches chaudes de sève nouvelle, leur feuillage épais, s’entremêlant de l’un à l’autre pour former une cime de verdure que les rayons du soleil ne parvenaient pas à percer.

Cependant le passage eût été relativement facile en se courbant sous les basses branches. Mais quels obstacles à la surface du sol, et quel travail il aurait fallu pour l’essarter, pour le dégager des orties et des ronces, pour se garantir contre ces milliers d’échardes que le plus léger attouchement leur arrache ! Nic Deck n’était pas homme à s’en inquiéter, d’ailleurs, et, pourvu qu’il pût gagner à travers le bois, il ne se préoccupait pas autrement de quelques égratignures. La marche, il est vrai, ne pouvait être que très lente dans ces conditions, — fâcheuse aggravation, car Nic Deck et le docteur Patak avaient intérêt à atteindre le burg dans l’après-midi. Il ferait encore assez jour pour qu’ils pussent le visiter, — ce qui leur permettrait d’être rentrés à Werst avant la nuit.

Aussi, la hachette à la main, le forestier travaillait-il à se frayer un passage au milieu de ces profondes épinaies, hérissées de baïonnettes végétales, où le pied rencontrait un terrain inégal, raboteux, bossué de racines ou de souches, contre lesquelles il buttait, quand il ne s’enfonçait pas dans une humide couche de feuilles mortes