un demi-sou le verre, et plus particulièrement le « rakiou », violente eau-de-vie de prunes, dont le débit est considérable au pays des Carpathes.
Il faut mentionner que le cabaretier Jonas — c’était une coutume de l’auberge — ne servait qu’« à l’assiette », c’est-à-dire aux gens attablés, ayant observé que les consommateurs assis consomment plus copieusement que les consommateurs debout. Or, ce soir-là, les affaires promettaient de marcher, puisque tous les escabeaux étaient disputés par les clients. Aussi Jonas allait-il d’une table à l’autre, le broc à la main, remplissant les gobelets qui se vidaient sans compter.
Il était huit heures et demie du soir. On pérorait depuis la brune, sans parvenir à s’entendre sur ce qu’il convenait de faire. Mais ces braves gens se trouvaient d’accord en ce point : c’est que si le château des Carpathes était habité par des inconnus, il devenait aussi dangereux pour le village de Werst qu’une poudrière à l’entrée d’une ville.
« C’est très grave ! dit alors maître Koltz.
— Très grave ! répéta le magister entre deux bouffées de son inséparable pipe.
— Très grave ! répéta l’assistance.
— Ce qui n’est que trop sûr, reprit Jonas, c’est que la mauvaise réputation du burg faisait déjà grand tort au pays…
— Et maintenant ce sera bien autre chose ! s’écria le magister Hermod.
— Les étrangers n’y venaient que rarement… répliqua maître Koltz, avec un soupir.
— Et, à présent, ils ne viendront plus du tout ! ajouta Jonas en soupirant à l’unisson du biró.
— Nombre d’habitants songent déjà à le quitter ! fit observer l’un des buveurs.
— Moi, le premier, répondit un paysan des environs, et je partirai, dès que j’aurai vendu mes vignes…