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pour que maître Koltz et les autres notables ne l’eussent point remarqué. Aussi Rotzko envoya-t-il volontiers au diable ce maître Koltz, qui l’avait si malencontreusement prononcé, et ses sottes histoires. Pourquoi fallait-il qu’une mauvaise chance eût amené Franz de Télek précisément à ce village de Werst, dans le voisinage du château des Carpathes !

Le jeune comte gardait le silence. Son regard, errant de l’un à l’autre, n’indiquait que trop le profond trouble de son âme qu’il cherchait vainement à calmer.

Maître Koltz et ses amis comprirent qu’un lien mystérieux devait rattacher le comte de Télek au baron de Gortz ; mais, si curieux qu’ils fussent, ils se tinrent sur une convenable réserve et n’insistèrent pas pour en apprendre davantage. Plus tard, on verrait ce qu’il y aurait à faire.

Quelques instants après, tous avaient quitté le Roi Mathias, très intrigués de cet extraordinaire enchaînement d’aventures, qui ne présageait rien de bon pour le village.

Et puis, à présent que le jeune comte savait à qui appartenait le château des Carpathes, tiendrait-il sa promesse ? Une fois arrivé à Karlsburg, préviendrait-il les autorités et réclamerait-il leur intervention ? Voilà ce que se demandaient le biró, le magister, le docteur Patak et les autres. Dans tous les cas, s’il ne le faisait, maître Koltz était décidé à le faire. La police serait avertie, elle viendrait visiter le château, elle verrait s’il était hanté par des esprits ou habité par des malfaiteurs, car le village ne pouvait pas rester plus longtemps sous une pareille obsession.

Pour la plupart de ses habitants, il est vrai, ce serait là une tentative inutile, une mesure inefficace. S’attaquer à des génies !… Mais les sabres des gendarmes se briseraient comme verre, et leurs fusils rateraient à chaque coup !

Franz de Télek, demeuré seul dans la grande salle du Roi Mathias, s’abandonna au cours de ces souvenirs que le nom du baron de Gortz venait d’évoquer si douloureusement.