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de Fer, à quelques milles au sud[1], ferment le défilé de la chaîne des Balkans sur la frontière de la Hongrie et de l’empire ottoman.

Tel est cet ancien pays des Daces, conquis par Trajan au premier siècle de l’ère chrétienne. L’indépendance dont il jouissait sous Jean Zapoly et ses successeurs jusqu’en 1699, prit fin avec Léopold Ier, qui l’annexa à l’Autriche. Mais, quelle qu’ait été sa constitution politique, il est resté le commun habitat de diverses races qui s’y coudoient sans se fusionner, les Valaques ou Roumains, les Hongrois, les Tsiganes, les Szeklers d’origine moldave, et aussi les Saxons que le temps et les circonstances finiront par « magyariser » au profit de l’unité transylvaine.

À quel type se raccordait le berger Frik ? Était-ce un descendant dégénéré des anciens Daces ? Il eût été malaisé de se prononcer, à voir sa chevelure en désordre, sa face machurée, sa barbe en broussailles, ses sourcils épais comme deux brosses à crins rougeâtres, ses yeux pers, entre le vert et le bleu, et dont le larmier humide était circonscrit du cercle sénile. C’est qu’il est âgé de soixante-cinq ans, — il y a lieu de le croire du moins. Mais il est grand, sec, droit sous son sayon jaunâtre moins poilu que sa poitrine, et un peintre ne dédaignerait pas d’en saisir la silhouette, lorsque, coiffé d’un chapeau de sparterie, vrai bouchon de paille, il s’accote sur son bâton à bec de corbin, aussi immobile qu’un roc.

Au moment où les rayons pénétraient à travers la brisure de l’ouest, Frik se retourna ; puis, de sa main à demi fermée, il se fit un porte-vue — comme il en eût fait un porte-voix pour être entendu au loin, — et il regarda très attentivement.

Dans l’éclaircie de l’horizon, à un bon mille, mais très amoindri par l’éloignement, se profilaient les formes d’un burg. Cet antique château occupait, sur une croupe isolée du col de Vulkan, la partie supérieure d’un plateau appelé le plateau d’Orgall. Sous le jeu d’une

  1. Le mille hongrois vaut environ 7500 mètres.