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La comtesse de Télek mourut, quand son fils avait à peine quinze ans, et il n’en comptait pas vingt et un, lorsque le comte périt dans un accident de chasse.

La douleur du jeune Franz fut extrême. Comme il avait pleuré sa mère, il pleura son père. L’un et l’autre venaient de lui être enlevés en peu d’années. Toute sa tendresse, tout ce que son cœur renfermait d’affectueux élans, s’était jusqu’alors concentré dans cet amour filial, qui peut suffire aux expansions du premier âge et de l’adolescence. Mais, lorsque cet amour vint à lui manquer, n’ayant jamais eu d’amis, et son précepteur étant mort, il se trouva seul au monde.

Le jeune comte resta encore trois années au château de Krajowa, d’où il ne voulait point sortir. Il y vivait sans chercher à se créer aucunes relations extérieures. À peine alla-t-il une ou deux fois à Bucharest, parce que certaines affaires l’y obligeaient. Ce n’étaient d’ailleurs que de courtes absences, car il avait hâte de revenir à son domaine.

Cependant cette existence ne pouvait toujours durer, et Franz finit par sentir le besoin d’élargir un horizon que limitaient étroitement les montagnes roumaines et de s’envoler au delà.

Le jeune comte avait environ vingt-trois ans, lorsqu’il prit la résolution de voyager. Sa fortune devait lui permettre de satisfaire largement ses nouveaux goûts. Un jour, il abandonna le château de Krajowa à ses vieux serviteurs, et quitta le pays valaque. Il emmenait avec lui Rotzko, un ancien soldat roumain, depuis dix ans déjà au service de la famille de Télek, le compagnon de toutes ses expéditions de chasse. C’était un homme de courage et de résolution, entièrement dévoué à son maître.

L’intention du jeune comte était de visiter l’Europe, en séjournant quelques mois dans les capitales et les villes importantes du continent. Il estimait, non sans raison, que son instruction, qui n’avait été qu’ébauchée au château de Krajowa, pourrait se compléter par les enseignements d’un voyage, dont il avait soigneusement préparé le plan.