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faits positifs, tangibles, on en conviendra, et il n’y avait plus moyen de vivre en un pays si extraordinairement machiné.

Il va de soi que l’auberge du Roi Mathias continuait d’être déserte. Un lazaret en temps d’épidémie n’eût pas été plus abandonné. Personne n’avait l’audace d’en franchir le seuil, et Jonas se demandait si, faute de clients, il n’en serait pas réduit à cesser son commerce, lorsque l’arrivée de deux voyageurs vint modifier cet état de choses.

Dans la soirée du 9 juin, vers huit heures, le loquet de la porte fut soulevé du dehors ; mais cette porte, verrouillée en dedans, ne put s’ouvrir.

Jonas, qui avait déjà regagné sa mansarde, se hâta de descendre. À l’espoir qu’il éprouvait de se trouver en face d’un hôte se joignait la crainte que cet hôte ne fût quelque revenant de mauvaise mine, auquel il ne saurait trop se hâter de refuser souper et gîte.

Jonas se mit donc à parlementer prudemment à travers la porte, sans l’ouvrir.

« Qui est là ? demanda-t-il.

— Ce sont deux voyageurs.

— Vivants ?…

— Très vivants.

— En êtes-vous bien sûrs ?…

— Aussi vivants qu’on peut l’être, monsieur l’aubergiste, mais qui ne tarderont pas à mourir de faim, si vous avez la cruauté de les laisser dehors. »

Jonas se décida à repousser les verrous, et deux hommes franchirent le seuil de la salle.

À peine furent-ils entrés que leur premier soin fut de demander chacun une chambre, ayant intention de séjourner pendant vingt-quatre heures à Werst.

À la clarté de sa lampe, Jonas examina les nouveaux venus avec une extrême attention, et il acquit la certitude que c’étaient bien