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Un bon verre de rakiou, apporté par Jonas, eut pour effet de rendre au docteur l’usage de sa langue, et ce fut par phrases entrecoupées qu’il s’exprima en ces termes :

« Nous sommes partis tous les deux… Nic et moi… Des fous… des fous !… Il a fallu presque une journée pour traverser ces forêts maudites… Parvenus au soir seulement devant le burg… J’en tremble encore… j’en tremblerai toute ma vie !… Nic voulait y entrer… Oui ! il voulait passer la nuit dans le donjon… autant dire la chambre à coucher de Belzébuth !… »

Le docteur Patak disait ces choses d’une voix si caverneuse, que l’on frémissait rien qu’à l’entendre.

« Je n’ai pas consenti… reprit-il, non… je n’ai pas consenti !… Et que serait-il arrivé… si j’eusse cédé aux désirs de Nic Deck ?… Les cheveux me dressent d’y penser ! »

Et si les cheveux du docteur se dressaient sur son crâne, c’est que sa main s’y égarait machinalement.

« Nic s’est donc résigné à camper sur le plateau d’Orgall… Quelle nuit… mes amis, quelle nuit !… Essayez donc de reposer, lorsque les esprits ne vous permettent pas de dormir une heure… non, pas même une heure !… Tout à coup, voilà que des monstres de feu apparaissent entre les nuages, de véritables balauris !… Ils se précipitent sur le plateau pour nous dévorer… »

Tous les regards se portèrent vers le ciel pour voir s’il n’était pas chevauché par quelque galopade de spectres.

« Et, quelques instants après, reprit le docteur, voici la cloche de la chapelle qui se met en branle ! »

Toutes les oreilles se tendirent vers l’horizon, et plus d’un crut entendre des battements lointains, tant le récit du docteur impressionnait son auditoire.

« Soudain, s’écria-t-il, d’effroyables mugissements emplissent l’espace… ou plutôt des hurlements de fauves… Puis une clarté jaillit des fenêtres du donjon… Une flamme infernale illumine tout le plateau jusqu’à la sapinière… Nic Deck et moi, nous nous regardons…