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Dès qu’il eut la lettre entre les mains, il demanda d’un ton plus radouci :

« Qu’ai-je à payer pour votre course ?…

— Oh ! rien… j’ai reçu un florin de la personne qui m’a envoyé ici.

— Et que vous ne connaissez pas ?…

— Que je ne connais pas ! »

Cependant, Ilia Krusch s’était assis près du tôt, il avait pris un petit fanal, il l’avait allumé, et il lut la lettre qui était conçue en ces termes :

Vienne, huit heures soir

« Mon cher Monsieur Krusch,

« Une circonstance imprévue m’oblige à quitter Vienne dans quelques instants… Je n’ai pas le temps d’aller vous prévenir… Je ne sais même plus ni où ni quand il me sera possible de vous rejoindre… Je le ferai cependant, tôt ou tard… peut-être du côté de Pest, peut-être du côté de Belgrade.

« Jusque là, continuez sans moi notre voyage, je souhaite qu’il réussisse à votre gré.

« J’ai remis cette lettre à un commissaire, et il a bien fallu faire connaître et votre adresse et votre nom. Espérons que cela ne vous causera pas trop de désagréments, et que vous saurez vous tirer d’affaire.

« Et, maintenant, bon voyage, et aussi bonne pêche, car vous savez à quel point j’y suis intéressé, et je n’aurai pas lieu de regretter le prix dont je vous l’ai payée d’avance.

« Avec tous les regrets de votre compagnon,

Jaeger »

Telle était cette lettre, qui ne fut pas sans trop surprendre Ilia Krusch. Quelle affaire pouvait obliger M. Jaeger à quitter Vienne si précipitamment. Cela serait matière à réflexion, mais comme il s’aperçut que l’homme se tenait encore sur l’appontement :

« C’est bien, mon ami, dit-il, vous pouvez vous en aller… il n’y a pas de réponse… »

Et l’autre de rester et de dire :

« Ainsi vous êtes bien M. Ilia Krusch ?…

— Oui… Ilia Krusch.

— Krusch le pêcheur ?…

— Le pêcheur… Bonsoir…

— Eh bien, quand on va savoir cela dans la ville, vous pouvez vous attendre à voir la barge envahie par les curieux.

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