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Pour un personnage aussi flegmatique que doit être le véritable pêcheur à la ligne, peut-être s’étonnera-t-on qu’Ilia Krusch montrât tant de nervosité. À cela il n’est pas possible de donner d’autre explication si ce n’est qu’il en était ainsi. Du reste, décidé à attendre, il attendrait, et ne commettrait point la faute d’aller à la recherche de M. Jaeger. Où le trouver dans cette vaste ville ?…

Ilia Krusch s’assit donc à l’arrière de la barge, et pour occuper le temps, il prit sa ligne, il l’amorça de façon convenable. La nuit n’est pourtant pas très favorable à la pêche ; le poisson paraît trouver plus facilement sa nourriture entre le coucher et le lever du soleil. C’est la raison pour laquelle, il mord plus difficilement à la première heure du jour, parce que la faim ne l’aiguillonne plus. Mais Ilia Krusch voulait « tuer le temps » et il n’aurait pu le faire d’une main plus sûre.

Or, il avait déjà ferré un barbillon et deux épinoches, et il venait de sonner la demie de huit heures, lorsqu’il s’entendit interpeller du haut de la berge.

« Monsieur Krusch… monsieur Krusch ?… »

Il se redressa et entrevit un individu qui s’avançait sur l’appontement.

« Allons ! pensa-t-il, voilà que l’on sait mon nom ! »

Et, très décontenancé, il hésitait à répondre, lorsque l’individu cria de nouveau en forçant sa voix :

« Monsieur Krusch ?… monsieur Krusch ?… Est-ce que vous n’êtes pas là, monsieur Krusch ?… »

Ilia Krusch se leva alors et répondit :

« Que me voulez-vous, monsieur ?…

— Vous remettre une lettre…

— Une lettre à moi ?… Et de quelle part ?…

— De la part de M. Jaeger. »

Enfin, Ilia Krusch allait avoir des nouvelles de son compagnon. Mais comment celui-ci avait-il eu l’imprudence de lui écrire sous son nom — et, par conséquent, de le faire connaître — alors qu’il devait le tenir caché. Il fallait donc que ce fut bien pressant, et qui sait ? bien grave, ce que lui mandait M. Jaeger.

Dans un instant, il serait fixé à cet égard.

« Passez-moi cette lettre », dit-il en tendant le bras vers l’individu.

— Mais… vous êtes bien M. Ilia Krusch ?… répéta celui-ci.

— Eh ! oui… je le suis ! répliqua Ilia Krusch, dont la voix trahissait un vif mécontentement.

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