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« Et où est-il, maintenant, pensait Ilia Krusch ?… Il n’est pas étonnant qu’un ancien voyageur de commerce ait nombre de connaissances dans cette grande ville ?… Les a-t-il rencontrées ?… Il aura déjeuné chez l’un, dîné chez l’autre, et j’ai grand peur d’être encore seul au souper de ce soir !… C’est décidément un excellent compagnon, ce M. Jaeger, et je ne me repens pas d’avoir accepté sa proposition !… Ce n’est pas que je me serais ennuyé pendant ce parcours !… Mais enfin, la société de M. Jaeger est fort agréable… Il paraît avoir quelque goût pour les choses de la pêche, et, quand nous serons arrivés là-bas, j’aurai recruté un membre de plus pour la Ligne Danubienne ! »

Ainsi songeait Ilia Krusch, à qui M. Jaeger inspirait tant de sympathie.

« Ah ! par exemple, se dit-il, pourvu qu’il n’ait pas la langue trop longue et ne parle pas de notre arrivée ici !… Je le sais, il y va de son intérêt et la vente en profite !… Mais, nous n’avons plus rien de notre pêche depuis hier !… Tout est parti !… Il est donc inutile… »

Oui, c’était toujours la crainte d’Ilia Krusch. Mais enfin, M. Jaeger avait formellement promis de se taire, et il serait sans exemple qu’un ancien voyageur de commerce ait manqué à sa promesse.

Dans l’après-midi, tout en fumant sa longue pipe, Ilia Krusch alla renouveler quelques-unes des provisions qui tiraient à leur fin, du pain frais, des œufs, de la bière. En remontant la rive, les passants qu’il rencontra furent assez rares. L’animation existait plutôt sur le bras du fleuve, sillonné par nombre d’embarcations. Mais on ne fit jamais attention à l’humble barge, amarrée au fond de la crique.

La journée s’écoula, le soir vint ; Ilia Krusch n’attendait pas sans une certaine impatience le retour de son compagnon. Le temps lui parut long. Il comptait les minutes. La nuit venait et M. Jaeger ne faisait pas comme la nuit.

Sept heures sonnaient aux églises de Vienne et le vent du Nord apportait les tintements de leurs cloches.

M. Jaeger ne paraissait pas.

Huit heures, et M. Jaeger ne se montrait ni en amont ni en aval de la berge.

« Que lui est-il arrivé ?… se demandait Ilia Krusch. Quelque affaire qui l’aura retenu… quelque accident peut-être !… N’arrivera-t-il que dans la nuit ?… Sera-t-il retardé jusqu’à demain matin ?… et nous qui devions partir à la pointe du jour… Eh bien, j’attendrai… Oui !… j’attendrai… sans me coucher, et d’ailleurs, je ne pourrais dormir ! »

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