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« J’en fais mon affaire, répondait-il. Quand bien même il serait sur mon bateau avec ses agents, il ne m’y reconnaîtrait pas, et quant au bateau, vous le savez bien, il peut le fouiller jusque dans la cale, il n’y trouverait pas même un tapis de contrebande ! »

Huit heures étaient sonnées, lorsque les attelages furent prêts à partir.

Il y a lieu d’ajouter, à propos de la capture dont Latzko aurait été l’objet, que ce n’était pas la première fois qu’il en courait de tels sur sa personne. Ces informations, répétées par les journaux, étaient aussi fausses que celle dont Ilia Krusch avait donné connaissance à M. Jaeger, en revenant du marché de Krems.

Tout était prêt, et les hommes, dont pas un n’avait paru à l’auberge, n’attendaient qu’un seul signal pour former l’escorte.

Les portes de la cour furent ouvertes. Les charrettes, tirées chacune par trois chevaux vigoureux, sortirent l’une après l’autre. Leur marche ne serait pas signalée de loin ni par le bruit, sur cette route à demi-herbeuse, ni par la vue, car il faisait nuit noire. D’ailleurs, le cheminement se ferait en partie à travers des bois épais massés sur la route.

La distance à franchir n’était plus que de six à sept lieues depuis l’auberge jusqu’au confluent de la Morave, et c’est à peine si, en cette direction, on rencontrait quelques fermes.

Les voitures sorties, congé pris de l’aubergiste, les charretiers en tête de leurs chevaux commencèrent à descendre les dernières ramifications des Petites Karpates.

Le chef les précédait d’une vingtaine de pas. Parfois, en longeant les bordures d’arbres, il s’écartait soit à droite, soit à gauche, et échangeait quelques mots avec les hommes de l’escorte, s’assurant qu’ils ne voyaient ni n’entendaient rien de suspect. C’étaient une marche silencieuse et obscure. Aucune lanterne n’éclairait les charrettes, mais leurs conducteurs connaissaient les pentes, les rampes tournantes d’une route qu’ils avaient maintes fois parcourue, et pas une erreur n’était à craindre de leur part.

Il semblait donc ainsi que le voyage s’accomplirait sans incidents. Lorsque le convoi arriva devant les premières fermes, la soirée était assez avancée déjà pour que les familles fussent au lit. Quelques chiens seulement signalèrent le passage des charrettes. Mais aucune porte ne s’ouvrit, et, après tout, ce cheminement de chevaux et d’hommes n’auraient pu surprendre personne.

L’atmosphère s’était très épaissie depuis le soir, s’alourdissant comme si l’espace eût été saturé d’électricité. Aucun orage ne menaçait, et, d’ailleurs, en cette région de la Haute-Autriche, les orages ne sont guère à crain-

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