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Mais enfin, la chance a ses limites. De bonne, elle peut devenir mauvaise, et le favoriserait-elle longtemps encore. Si on ne connaissait pas la personne de ce Latzko, on connaissait son nom, et comment était-il parvenu aux oreilles de la police, personne ne l’eût pu dire. Il est vrai, un nom n’est pas inscrit sur la figure des gens ; et un homme n’est pas pris parce que l’on sait comment il s’appelle.

Dès son entrée dans la salle, ce chef, peut-être le second de Latzko, procéda par des questions brèves, qui amenèrent des réponses non moins brèves :

« Les deux charrettes sont ici ?…

— Elles y sont.

— Vous n’avez point (été) arrêtés en route ?…

— Non, mais il est certain que le pays est surveillé par les agents…

— Oui… je sais, mais du côté de la Morave. Toutes les marchandises sont arrivées ?…

— Toutes.

— Et vous êtes ici ?…

— Depuis ce matin.

— Les chevaux ont reçu bonne provision de fourrage ?…

— Il n’y a plus qu’à atteler…

— Qu’on attelle. »

On remarquera que si une quinzaine de fraudeurs avaient repassé de ce côté du Danube, celui-ci était venu seul à l’auberge. Cela valait mieux pour ne point exciter les soupçons qu’eût provoqué le passage d’une troupe d’hommes, armés de coutelas et de revolvers. Mais ils étaient dispersés le long de la route, et lorsque les charrettes se mettraient en marche, ils les escorteraient à distance, de manière à se rallier dès la moindre alerte.

Du reste, ils n’ignoraient point que la police courait le pays sous la direction de Karl Dragoch, dont la présence avait été signalée la veille. Ils se tenaient donc sur leurs gardes. Leurs costumes les auraient volontiers laissé prendre pour des Hongrois de la province des Karpates. Quant à ce Latzko, habile à modifier son allure, à changer sa physionomie, il avait plusieurs fois déjà trompé l’œil des agents. Que de fois les meilleurs limiers avaient rencontré un paysan dans les terres, ou un marinier sur les rives, à l’air indifférent, à la mine bonasse, tantôt conduisant un cheval, tantôt une embarcation, sans se douter qu’ils n’avaient qu’à étendre la main pour le saisir ! En vérité, Ilia Krusch eût plutôt excité leur suspicion !

Et lorsqu’un de ses compagnons lui parlait de ce Dragoch, que la Commission avait mis à ses trousses :

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