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Cette partie du Danube est, du reste, assez pénible à franchir pour les bateaux de grande dimension lourdement chargés. Ce ne sont pas seulement sur des bas-fonds sablonneux qu’ils risquent de s’engraver, et encore ne pourraient-ils être remis à flot qu’après s’être délestés d’une moitié de leur cargaison. Le fleuve est parfois hérissé de rochers énormes, les uns se dressant le long des berges, les autres à fleur d’eau. Avec la violence du courant, si un chaland est entraîné contre ces roches, ce n’est plus l’échouage qu’il y a à craindre, (mais) la destruction totale, c’est la perte des marchandises, sinon du personnel, et, on le répète, nombreuses furent les catastrophes qui se produisirent dans ces conditions.

« Aussi, M. Jaeger, dit Ilia Krusch, faut-il avant tout s’adresser à un pratique expérimenté, et il en est de bons sur le Danube…

— Mais, monsieur Krusch, répondit M. Jaeger, il me semble que vous-même vous auriez fait un excellent pilote…

— Je l’ai été, monsieur Jaeger, je l’ai été, et, avant de me retirer à Racz, j’ai exercé la profession pendant une quinzaine d’années.

— Vraiment, monsieur Krusch, et vous seriez capable de conduire un de ces bateaux à sa destination ?

— Assurément, M. Jaeger, sur le Danube, s’entend, et non dans les rivières qui s’y jettent… Je ne pense pas que le lit ait changé depuis quatre ans que je n’exerce plus… car voilà tantôt quatre ans… et de pilote je suis devenu pêcheur à la ligne…

— Ce qui vous réussit assez, monsieur Krusch…

— Mais oui, monsieur Jaeger, et que faire de mieux, lorsqu’on a pris sa retraite ! »

Après le Strudel, il y eut encore de dangereux tournants à franchir, entre autres le Wirbel, où les eaux forment des tourbillons violents dont un bateau ne pourrait plus sortir, s’il s’y laissait prendre. Puis ce fut cette sorte de barrage du Haustein, de grosses roches, toujours difficile, bien que les travaux l’aient sensiblement amélioré. D’ailleurs, avec une pente de quatre pieds par cent brasses que le lit a conservée, il n’est pas étonnant que le Danube puisse en cet endroit soutenir la comparaison avec certains rapides des grands fleuves d’Amérique.

Ces mauvais pas franchis, la navigation redevient aisée pour la batellerie sur un assez long parcours, et, jusqu’à Vienne du moins, elle ne présente plus d’obstacles. La barge continuait donc sa route sous l’action d’un courant assez régulier, et sans qu’il se produisît aucun incident. Ilia Krusch pêchait avec assez de succès, et vendait convenablement son poisson dans les bourgades ou villages des deux rives, tels Spitz, Stein, à gauche, où

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