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Cette trentaine de lieues, distance entre Passau et Lintz, la barge ne devait pas mettre plus de trois jours à la franchir. Le Danube, devenu autrichien, se resserrait dans un canal plus étroit au-delà de la frontière. Le courant, dans ces conditions, acquiert une vitesse supérieure dont profitent les bateaux qui descendent vers la capitale autrichienne.

Cependant, en aval de Passau, la rive gauche est encore bavaroise jusqu’à l’embouchure de l’affluent qui a nom Dädelsbach. Au-delà, la navigation s’accomplit à travers un pays charmant, des vallées arrosées de rios qui retombent en cascades, des forêts étagées sur les collines. Une campagne verdoyante s’étend parfois jusqu’à l’horizon fermé par la ligne circulaire du ciel ; les berges sont animées par le va-et-vient des oiseaux aquatiques, hérons ou plongeons.

Et à ce propos, Ilia Krusch de dire que quelquefois ce gibier se prend à la ligne.

« Oui, monsieur Jaeger, il mord à l’hameçon comme un simple chevesne ou un brochet vorace ! Mais ce n’est pas un coup digne d’un pêcheur et aucun prix ne l’en récompenserait dans un concours ! »

Les bords du fleuve s’embellissaient aussi de quelques vieilles ruines qu’un touriste visiterait non sans agrément. Il ne pouvait être question pour Ilia Krusch et son compagnon de s’y attarder. Pendant les trois jours que dura cette partie de leur voyage, en s’arrêtant la nuit de préférence aux villages où l’arrivée d’Ilia Krusch ne pouvait être connue, ils eurent la vue complète des sites délicieux que présente tour à tour cette traversée de la moyenne Autriche. Telles furent avant Neuhaus les ruines du château d’Hagenbach, que les coudes du Fleuve permettent de voir sur tous ses côtés. Telle fut la vallée d’aspect enchanteur qui apparaît à la hauteur de cette bourgade de Neuhaus.

À partir de ce point, la descente de la barge fut un peu moins rapide. Au-delà du bourg d’Aschach, les rives s’abaissaient également. Plus de collines, plus de vallées, une vaste suite de plaines uniformes, laissant le regard indifférent. Mais un grand nombre d’îles encombraient le cours du fleuve.

Malgré les difficultés de la navigation, amoindries du reste depuis les derniers travaux, la barge naviguait en toute sécurité, et la godille la protégeait des chocs et de l’échouage. Décidément, si M. Jaeger connaissait bien ces contrées du haut Danube, Ilia Krusch connaissait non moins bien les détours et les passes du fleuve, et il n’eût pas été embarrassé de diriger un bateau en pleine charge ou un de ces longs trains de bois qui s’en allaient à la dérive.

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