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église du Bogenberg, à Deggendorf, de miraculeuse mémoire, trouvent communication entre les deux rives du fleuve.

Ce qu’Ilia Krusch eut à remarquer, bien qu’il ne songeât point à s’en étonner autrement, c’est que, dans les principales bourgades, parfois même dans les plus modestes villages, M. Jaeger rencontrait des personnes de connaissance. Quelques individus, sans doute des habitants, venaient et échangeaient quelques paroles avec lui. Il ne négligeait pas non plus de se rendre au bureau de poste, où l’attendaient presque toujours des lettres à son adresse.

« Eh ! lui dit-il un jour, vous avez donc des relations un peu partout, monsieur Jaeger ?…

— En effet, monsieur Krusch… Cela tient à ce que j’ai souvent parcouru ces contrées riveraines du Danube.

— En curieux, monsieur Jaeger ? » demanda Ilia Krusch, auquel son compagnon n’avait point fait encore de confidences — ce dont il ne se préoccupait guère d’ailleurs. Peut-être même pensa-t-il que sa question ne laissait pas d’être un peu indiscrète.

Il n’en était rien, assurément, car M. Jaeger lui répondit aussitôt :

« Non, ce n’est point en curieux que je visitais ces contrées, monsieur Krusch. Je voyageais pour le compte d’une maison de commerce de Pest, et, à ce métier-là, vous le savez, non seulement on voit du pays, mais on se crée des relations avec beaucoup de monde. »

Il n’en fallait pas plus pour satisfaire Ilia Krusch, qui ne se fût jamais permis un soupçon à l’égard de M. Jaeger.

En approchant de Passau, la rive droite se montrait moins plate qu’au sortir de Ratisbonne. Sur la campagne se dessinaient les premières ramifications des Alpes Rhétiques. Le Danube se resserre alors dans une vallée plus étroite. Ce parcours est délicieux pour un touriste et justifie l’empressement qu’on met à le visiter. Les eaux du Danube n’y mènent plus un cours tranquille et régulier. Autrefois, il s’y formait des rapides assez dangereux, et il n’était pas rare que la batellerie y éprouvât de graves dommages. En effet, c’est à cette hauteur que les roches apparaissent dans le lit du fleuve, et, s’y précipitant en grand tumulte, le courant ne permettait que très malaisément d’éviter ces écueils. Par les grandes crues, les difficultés étaient moindres ; mais, à l’étiage normal, la navigation ne laissait pas d’être périlleuse.

Maintenant, les dangers sont moins grands. On fait sauter à la mine les plus gênantes de ces roches qui s’échelonnaient d’une rive à l’autre. Les rapides ont perdu de leur violence ; les remous n’attirent plus les

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