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« Ilia Krusch, dit-il avec ce ton de dignité solennelle qui le caractérisait, je suis heureux de revoir le grand lauréat de notre dernier concours ! »

Le grand lauréat tournait la tête à droite, à gauche, un peu décontenancé, et ne sachant que répondre. Aussi le président reprit-il en disant :

« De ce que nous vous rencontrons aux sources de notre fleuve international, dois-je en inférer qu’il faut prendre au sérieux le projet que l’on vous prête de descendre en pêchant à la ligne le cours du Danube jusqu’à son embouchure ?… »

Ilia Krusch restait muet, les yeux baissés, la langue paralysée par une sorte de confusion qu’il ne parvenait pas à vaincre.

« Nous attendons votre réponse », reprit le président Miclesco.

Encore une minute de silence, après laquelle Ilia Krusch parvint à dire :

« Oui… monsieur le président… j’ai cette intention, et c’est pourquoi je suis remonté jusqu’ici…

— Et vous comptez commencer votre descente…

— Aujourd’hui même, monsieur le président.

— Et comment effectuerez-vous ce parcours ?

— En m’abandonnant au courant…

— Dans ce canot ?…

— Dans ce canot.

— Sans jamais relâcher ?…

— Si… la nuit.

— Mais il s’agit de six à sept cents lieues…

— À dix lieues par douze heures, ce sera fait en deux mois environ.

— Alors, bon voyage, Ilia Krusch…

— En vous remerciant, monsieur le président. »

Ilia Krusch salua une dernière fois, remit le pied dans son embarcation, alors que les curieux se pressaient pour le voir partir.

Il prit sa ligne, il l’amorça, il la déposa sur l’un des bancs, ramena le grappin à bord, repoussa le canot d’un coup vigoureux de gaffe ; puis s’asseyant à l’arrière, il lança la ligne…

Un instant après, il la retirait, un barbeau frétillant à l’hameçon, et comme il tournait la pointe, toute l’assistance saluait en lui avec ses frénétiques hochs le lauréat de la Ligne Danubienne.

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