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Les embouchures du Danube sont multiples, et son delta est couvert d’une sorte de réseau hydrographique. Les deux principales sont séparées par la grande île de Leti, un triangle dont le sommet est à la bifurcation des deux bouches. Celle qui limite l’île au sud est la plus importante, et, de préférence, les bâtiments la suivent pour atteindre la Mer Noire.

La bouche qui limite l’île au nord, moins fréquentée, prend le nom de Kilia, qui est celui d’une petite ville forte bâtie sur sa rive gauche.

C’est ce bras que le chaland devait prendre pour arriver à destination, et, dans la matinée du lendemain, servi par un courant assez rapide, il en longeait la rive droite, de manière à passer loin de Kilia.

Ilia Krusch comprenait maintenant pourquoi le patron passait toujours à l’écart des villes riveraines. Quant à lui, il n’avait encore pris aucune résolution, il observait, avec autant d’attention qu’il était observé à bord. Deux mariniers étaient toujours près de lui pour l’aider dans la manœuvre de la barre. Le chaland ne se laissait plus seulement aller à la dérive, et, la voile haute, il profitait de la brise de l’ouest. Avant cinq heures, il aurait, ce jour-là, atteint l’embouchure du fleuve.

Latzko, incapable de maîtriser son impatience, inquiet de cette disparition de M. Jaeger, allait et venait sur le pont ; puis, debout à l’avant, il fouillait l’horizon du regard.

Enfin, un des mariniers, posté près du mât de pavillon, cria : “La Mer Noire !”

En effet, par l’évasement de la bouche de Kilia, on pouvait voir un horizon formé par la ligne de ciel et d’eau.

Ilia Krusch l’avait déjà aperçue. Dans une heure, il serait au terme de son voyage, et non pas, hélas ! dans les conditions où il avait espéré le finir !

Mais ce qu’il vit aussi, ce fut un bâtiment sous vapeur, qui croisait au large, et se trouvait alors du côté de l’île Leti.

Et ce n’était point un navire de guerre, battant pavillon turc ou russe, mais un bâtiment de commerce, dont rien ne décelait la nationalité.

« C’est ce coquin de contrebandier, qu’ils attendent et qui les attend », se dit Ilia Krusch.

Il ne se trompait pas. Des signaux furent faits par ce steamer, qui hissa une flamme à son mât de misaine. Le chaland y répondit en abaissant trois fois son pavillon.

Aussitôt le vapeur modifia sa direction et fit route de manière à se rapprocher.

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