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Voici ce qui s’était passé, et comment, à sa grande surprise comme à son grand ennui, le lauréat de la Ligne Danubienne se trouvait lancé dans une aventure dont le dénouement risquait d’être des plus dommageables pour lui.

Cette tempête qui troubla si profondément le fleuve, jusqu’à le rendre innavigable, avait duré toute la nuit. Ilia Krusch et M. Jaeger s’étaient abrités sous le tôt contre des averses torrentielles, après avoir doublé l’amarre qui retenait leur embarcation à la berge. Mais les secousses de la houle étaient tellement violentes qu’il ne leur fût guère possible de dormir.

Il était donc environ une heure du matin, lorsque retentirent des cris de détresse. Venaient-ils de la rive ou du chaland mouillé au-dessous de la barge ?

Tous deux, se dégageant du tôt, cherchèrent à voir ce qui se passait au milieu de cette profonde obscurité.

Ce n’était point du côté de la berge ni du village que ces cris se faisaient entendre. Ils venaient du chaland même. On distinguait un va-et-vient d’hommes, fanaux allumés, tantôt en abord, tantôt en avant, tantôt en arrière.

Et ces lambeaux de phrase arrivaient aux oreilles de M. Jaeger et d’Ilia Krusch :

« Par ici… par ici !…

— C’est là qu’il est tombé…

— À l’eau, le canot, à l’eau ! »

Et, au bruit, Ilia Krusch reconnut qu’on déhalait une embarcation en toute hâte.

« C’est un de leurs hommes, dit-il, qui aura été emporté par un coup de houle ! »

S’il en était ainsi, le patron ferait tout ce qui serait possible pour sauver ce malheureux. Et, en effet, au risque de chavirer, le canot courait déjà vers l’aval, car l’homme ne pouvait avoir été entraîné que dans le sens du courant.

Quant à Ilia Krusch, il ne pouvait rien pour lui, et démarrer la barge, c’eût été l’exposer inutilement au milieu du tumulte des lames.

Tous deux attendirent. Les fanaux s’agitaient toujours sur le pont supérieur du chaland. Au bout d’une demi-heure, celui qui éclairait la marche du canot reparut. L’embarcation, à force d’avirons, revenait au chaland, et il ne semblait pas que la tentative de sauvetage ait réussi, car on entendit encore un des mariniers s’écrier :

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