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« J’y pense, vous accepterez bien de venir dîner avec moi ?…

— Volontiers, monsieur Jaeger.

— Bien… à cinq heures sur la grande place…

— À cinq heures. »

Roustchouk est une ville de trente mille habitants, sur la rive droite du fleuve. Elle appartient à la province de Silistrie et par suite à la Turquie d’Europe. C’est le siège d’un évêché grec. Elle est mal bâtie, mal entretenue, et c’est à peine si les charrettes traînées par des buffles peuvent circuler à travers ses rues étroites. La plupart des maisons sont construites en terre. On y trouve de nombreux cafés, des entrepôts de marchandises, des bazars où se vendent les étoffes, les lainages, des fruits, des pipes, du tabac, des drogues de toutes sortes. Elle est dominée par une forteresse, et çà et là se dressent les minarets pointus des synagogues et des mosquées. Le seul édifice digne d’attention est le palais du gouverneur.

Il est probable que le souvenir des lieux revint vite à M. Jaeger, car il n’hésita pas sur le chemin qui conduisait au bureau de poste. Là, il trouva une lettre datée de Galatz, et dont il prit immédiatement connaissance.

« Décidément, se dit-il, il est temps d’arriver ! »

Il remit la lettre dans sa poche, se promena pendant une heure, et vint déjeuner dans l’hôtel où il devait dîner avec son invité.

Vers une heure, il reprit sa promenade à travers le quartier commerçant, où la foule des marchands, des pratiques, des chargeurs était fort animée. Plusieurs bâtiments de commerce, à voile ou à vapeur, amarrés ou le long du quai, procédaient à l’embarquement ou au débarquement des marchandises.

C’est là que M. Jaeger, vers trois heures, fut accosté par un homme — un Bulgare, sans doute, à en juger d’après son costume et sa physionomie d’un type assez prononcé.

Tous deux se connaissaient et ne parurent pas surpris de se rencontrer dans cette ville, presqu’à l’extrémité de l’Europe orientale. Ils causèrent, et même M. Jaeger donna connaissance à cet homme de divers passages de la lettre qu’il avait reçue. Celui-ci sembla approuver, et quand ils se séparèrent, ce fut sur ces mots que répéta M. Jaeger :

« Oui !… il est temps d’arriver ! »

À cinq heures, Ilia Krusch, dont l’arrivée n’était point connue, se trouvait sur la place, et M. Jaeger le conduisit à l’hôtel. Le menu du dîner comprenait le caviar, la choucroute, le poulet au paprika, le tout arrosé de vin de Hongrie. Ilia Krusch fit honneur à son hôte, et M. Jaeger, bien qu’un peu préoccupé peut-être, ne fut pas en reste avec lui.

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