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De là, belle colère d’Ilia Krusch, autant que cette nature paisible de pêcheur à la ligne était susceptible de l’éprouver, et, que l’on se rassure, elle n’alla point jusqu’à provoquer chez lui les spasmes du cœur. Et d’ajouter :

« Après tout, monsieur Jaeger, ce que j’en dis, ce n’est pas tant pour moi que pour vous, et si ce retard ne vous désoblige pas…

— Mais non, répondit M. Jaeger, et je ne suis pas fâché de voir comment cela va se passer, si on finira par saisir un des chalands de ce Latzko, pour lequel, monsieur Krusch, on vous a fait l’honneur de vous prendre ! »

En réalité, il n’y eut qu’une halte de vingt-quatre heures au bourg d’Orsova. Et pendant ce laps de temps, les bateaux furent retenus. Les sentinelles placées à bord n’en laissaient approcher aucun étranger, et aucun marinier n’avait le droit de quitter son bord. Il fallait déplacer la cargaison, et alors les agents visitaient le chaland dans toute la longueur de la cale. Ils s’assuraient qu’il n’existait pas de double-fond, que les bordages ne pouvaient point être déplacés. Après les cales, c’était la superstructure supportant le pont supérieur que l’on fouillait dans tous les coins, et aussi le logement du personnel, disposé à l’arrière, comme dans tous ces grands bateaux du Danube qui sont désignés sous le nom de (…).

Cette visite achevée, le chaland n’avait pas encore permission de partir. On ne les laisserait passer que tous à la fois, après paiement des droits de douane.

Il est évident que cette opération ne se fit pas sans amener discussions et querelles. Mais la force publique était suffisante, en y joignant les soldats de la garnison d’Orsova.

M. Jaeger prenait un extrême intérêt à ces visites, et son attention ne faiblit pas un seul instant. À ce point qu’Ilia Krusch finit par lui dire :

« Eh, monsieur Jaeger, jusqu’ici, on n’a rien découvert ?…

— Non, et je crains que l’opération n’ait été faite en pure perte…

— Avez-vous remarqué parmi ces chalands, monsieur Jaeger, celui que nous avons rencontré dans le défilé du Strudel, et qui savait si bien se frayer route au milieu de toute la flottille.

— Oui, monsieur Krusch, c’est celui qui est là, contre l’appontement… Je le reconnais bien… On l’a visité un des premiers, mais on n’a rien trouvé de suspect à bord…

— En effet, monsieur Jaeger, et il est prêt à partir, mais il sera obligé d’attendre comme les autres. Bon ! je ne suis pas inquiet pour lui !… Il a évidemment un bon pilote, et il saura bien regagner son avance en route ! »

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