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direction générale se maintenait vers l’est, servant à gauche de limite aux Confins Militaires. Elle passa devant la ville de Semendria, autrefois capitale de la Serbie, et dont la forteresse (est) campée sur un promontoire qui barre une partie du Danube, et que défendent toute une couronne de tours et un donjon. En cet endroit, le grand fleuve rachète merveilleusement la sauvagerie ou l’infertilité des campagnes qui le bordent en amont. Partout des arbres fruitiers en plein rapport, des vergers enrichis de diverses sortes de plants, des vignobles luxuriants qui se succèdent jusqu’à l’embouchure de la Morava. Cette rivière arrive au fleuve par une vallée superbe, une des plus belles de la Serbie. À l’embouchure se montraient un certain nombre de bateaux, les uns qui la descendaient, les autres qui se préparaient à la remonter avec des remorqueurs ou des attelages.

Après Semendria, ce fut Basiach, où s’arrêtait alors le chemin de fer de Vienne à Orsava et qui allait être prolongé prochainement jusqu’à cette ville, puis Columbacz, avec ses magnifiques ruines, puis des cavernes à légendes, entre autres celle dans laquelle Saint-Georges aurait déposé le corps du dragon tué de ses propres mains. De toutes parts, à chaque coudée du fleuve, et on ne perd l’un que pour retrouver l’autre, se dressaient des promontoires coupés à pic et contre lesquels le courant précipite ses eaux écumantes. Au-dessus, se massent des bois épais, s’étageant jusqu’aux montagnes qui sont plus élevées sur la rive turque que sur la rive hongroise.

Un touriste se fût certainement maintes fois arrêté pour contempler de plus près et plus longuement les merveilles que le fleuve offre alors aux yeux. Il se serait fait mettre à terre au défilé des Cazan, l’un des plus remarquables du parcours ; il aurait suivi le chemin de halage, afin d’examiner cette fameuse table de Trajan, ce rocher où est encore gravée l’inscription qui rappelle la campagne du célèbre empereur romain.

Mais ni M. Jaeger ni Ilia Krusch ne s’abandonnaient aux fantaisies du tourisme : le mouvement commercial occupait toujours l’attention de l’un, tandis que l’autre, suivant les différences du courant, ne songeait qu’à suivre tantôt la rive turque, tantôt la rive serbe.

Et c’est ainsi que dans l’après-midi du 24 juin, par un temps assez pluvieux, ils franchissaient cette chaîne des Karpates que la Pologne envoie jusqu’aux Balkans, et que traverse le Danube à l’endroit où s’ouvre son quatrième bassin.

Il y a deux Orsova, l’ancienne et la nouvelle, sur la frontière, et au-delà s’étendent les territoires Valaques. Le Danube est entré dans le pays ottoman, ou tout au moins des provinces turques, et n’en doit plus sortir qu’à l’estuaire qui verse ses eaux dans la Mer Noire. Orsova est tout naturellement une station militaire, occupée par des soldats valaques, au milieu d’une population de deux mille habitants. C’est là que les voyageurs, et

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