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arbres, en lui donnant son nom… pour le cas où quelqu’un viendrait le demander.

« Ah ! monsieur Krusch, dit cet homme.

— Oui, mais pour vous seul… Vous me le promettez ?…

— Je vous le promets ! »

Et, quand Ilia Krusch fut parti le pêcheur n’eut rien de plus pressé que d’ébruiter l’arrivée du célèbre Ilia Krusch à Semlin.

Il en fut donc pour son incognito, et, tandis qu’il courait les rues, on le signala, et les Serbes qui forment en grande majorité la population de Semlin ne se montrèrent pas au-dessous des Autrichiens de Passau ou des Hongrois de Pest en l’honneur de cet hôte illustre. Depuis sa fondation au dix-huitième siècle sur l’emplacement d’un château qui appartenait au fameux Jean Hunyadi, le patriote défenseur de la Hongrie contre les armées ottomanes, peut-être Semlin ne s’était-elle pas lancée en des démonstrations si triomphales !

Mais, de M. Jaeger, point, et, assurément s’il eût été à Semlin, le bruit de tant d’ovations serait parvenu à ses oreilles, et il se fût empressé de rejoindre son compagnon.

Le lendemain, 19 juin, un peu avant midi, par un temps clair, Ilia Krusch voyait apparaître une cité disposée en amphithéâtre sur une colline, avec ses maisons à l’européenne, ses clochers auxquels le soleil mettait une aigrette de flamme, et les deux minarets d’une mosquée, qui ne jurait pas trop dans le voisinage des églises. Un peu sur la gauche, au milieu d’une corbeille d’arbres fruitiers d’où s’élançaient des cyprès de haute taille, il y avait apparence d’une seconde ville plus moderne, contrastant avec la vieille cité turque.

C’était Belgrade, l’alba Graeca, la Ville Blanche, autrefois le chef-lieu de l’ancienne principauté de Serbie, qui se composait de trois parties fort distinctes à cette époque : la Nouvelle Ville uniquement aux Serbes, le faubourg, indivis entre les Serbes et les Turcs ; la forteresse, résidence du pacha, sur laquelle flottait le pavillon ottoman.

À l’instant où, sa barque amarrée à un quai du faubourg qui est le quartier du commerce, Ilia Krusch allait débarquer, un homme lui frappait amicalement sur l’épaule.

C’était M. Jaeger.

« Et comment ça va-t-il, monsieur Krusch ? demanda-t-il.

— Pas mal… et vous ?… »

C’est tout ce qu’Ilia Krusch, aussi abasourdi que satisfait en revoyant son ancien compagnon, trouva à répondre !

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