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« Je n’ai pas pu faire erreur, se répétait Ilia Krusch, en suivant la rue au hasard, et près de qui eût-il pu s’informer d’une façon sérieuse. À Peterwardein, qui connaissait M. Jaeger si ce n’est lui seul ?

Ah ! la mauvaise chance, se disait-il, si, au lieu de m’enfermer dans ce café, je n’eusse pas cessé de parcourir la rue, je l’aurais rencontré !… il m’aurait aperçu, il serait venu à moi… et maintenant, nous serions bras dessus bras dessous… et nous aurions repris notre navigation pour ne plus l’interrompre. »

Le pauvre homme était désolé. Une pareille occasion perdue, et qui ne se représenterait pas !… Quelle apparence qu’il pût rejoindre M. Jaeger et le retrouver ?… Restait-il à Peterwardein ?… N’allait-il pas aller à Neusatz ?… Quant à s’être trompé, non ! Ilia Krusch ne pouvait l’admettre… C’était bien son compagnon qu’il avait aperçu et dont il ne retrouvait plus trace !…

Dans cette conjoncture, il n’y avait plus qu’un parti à prendre, et Ilia Krusch le prit après avoir pendant une heure vainement parcouru le quartier. C’était de revenir vers le fleuve, et d’attendre dans la barge. Si ce n’était pas lui qui retrouvait M. Jaeger, eh bien, ce serait M. Jaeger qui le retrouverait, et le résultat serait le même, c’est-à-dire excellent !… Que M. Jaeger fût à Perterwardein ou à Neusatz, il chercherait assurément si la barge y avait relâché, et il fallait revenir sans perdre un instant.

C’est ce que fit Ilia Krusch. L’attention publique n’avait point été éveillée à son sujet. Il en fut à le regretter. Une démonstration n’eût pu échapper à M. Jaeger. Mais le (…), avec cette sûreté d’information qui caractérise les reporters, annonçait qu’Ilia Krusch avait déjà dépassé Belgrade, et personne ne songeait plus à lui.

Vainement, Ilia Krusch attendit dans la barge, vainement, dans l’après-midi, il se mit en recherches sur les quais de Peterwardein, puis sur les quais de Neusatz. Le soir arriva et M. Jaeger n’avait point reparu.

Encore une triste nuit pour Ilia Krusch ! Mais enfin il ne pouvait s’attarder plus longtemps. Il n’y avait pas loin de Neusatz à Belgrade, et M. Jaeger dans sa lettre ne disait-il pas qu’il rejoindrait son compagnon du côté de Belgrade… peut-être…

Il suit de là que, le lendemain, la barge se remit dans le courant du Danube, et M. Jaeger n’était point avec Ilia Krusch !

Tristes aussi les rives entre lesquelles le Danube, large et monotone, promenait ses eaux qui s’étendaient parfois jusqu’à la ligne périmétrique de l’horizon. À droite, des tumescences argileuses, d’étroits ravins qui venaient aboutir au fleuve. Parfois des falaises, et au-dessus des champs inclinés où s’étalent des vignobles et se dressent quelques arbres. Tou-

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