Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.

xii

DE PEST À BELGRADE

En quittant Pest, Ilia Krusch avait accompli la moitié de son grand voyage, à quelques lieues près. Mais il faut bien reconnaître que la première moitié, si elle s’était effectuée sans risques ni fatigues, avait failli avoir un tragique dénouement. Et ce fut surtout lorsqu’il se sentit libre, lorsque les derniers hochs ne parvinrent plus à son oreille, lorsque la barge, seule et tranquille, glissa entre les rives, qu’il sentit combien la situation avait été grave pour lui.

« Moi… moi ! se répétait-il, moi Ilia Krusch de Racz, moi l’ex-pilote, moi le lauréat du grand concours de pêche, pris pour ce Latzko !… Et s’il doit être pendu un jour, de combien peu s’en est-il fallu que je le fusse à sa place ! »

Puis, continuant à s’abîmer dans le cours de ses désagréables réflexions :

« Après tout, je comprends que la justice s’y soit trompée, se dit l’excellent homme, et je n’en veux point au président Roth !… Il est certain que ce chef des fraudeurs se sachant poursuivi, traqué de toutes parts, n’aurait pu mieux imaginer pour descendre le fleuve en toute sécurité et tout en faisant ses affaires !… Qui aurait été le chercher sous l’habit d’Ilia Krusch !… N’importe ! je l’ai échappé belle, et je brûlerai un cierge devant la Vierge de Racz ! »

Évidemment c’était bien là le moins qu’il pût faire par reconnaissance !

Et alors le souvenir de M. Jaeger lui revenait à l’esprit. Il continuait à s’applaudir de n’avoir jamais prononcé le nom de son compagnon. Si on eût appris en quelles conditions il avait pris place dans la barge, quelle proposition s’était échangée entre tous deux — tout le produit de la pêche acheté d’avance, et au prix de cinq cents florins — cela eût paru la con-

119