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Si fort qu’il fût de son innocence, son abattement, son inquiétude n’étaient que trop visibles. En vain cherchait-il dans la salle un regard ami… Il n’en voyait pas un, et, faut-il le dire, c’est sur le visage du président Roth qu’il crut apercevoir quelques symptômes de sympathie. Oui ! et aussi sur le visage du secrétaire Choczim et des autres membres de la Commission.

Ah ! quel effet, lorsque le président, prenant la parole, s’exprima en ces termes :

« Ilia Krusch, nous avons fait demander à Racz des renseignements sur votre compte. Je ne tarderai pas plus longtemps à vous dire qu’ils sont excellents de tous points… »

Un mouvement de surprise, et qui sait peut-être de désapprobation, courut à travers l’auditoire, qui voyait sa proie lui échapper.

« Excellents, reprit le président Roth. Le chef de police de Racz nous envoie des preuves indiscutables de votre identité et de votre probité personnelle… Oui, vous êtes bien Ilia Krusch. Vous avez bien été pilote, et un des plus habiles du Danube. Vous êtes bien à la retraite dans cette petite ville de Racz où est actuellement votre domicile… ».

Ilia Krusch saluait, ma foi, comme s’il recevait des compliments, et il n’avait pas l’air plus ébahi de satisfaction le jour où il reçut sa double prime des mains du président Miclesco au concours de Sigmaringen.

Et alors, quelques hochs retentirent dans la salle.

« Nous avons fait fausse route, Ilia Krusch, dit en terminant le président Roth. Vous êtes libre, et il ne nous reste plus qu’à vous présenter nos excuses pour cette erreur, et en vous souhaitant plein succès dans votre original voyage ! »

L’affaire était terminée, tout à l’honneur d’Ilia Krusch, victime d’une méprise judiciaire hautement reconnue. Il n’avait plus qu’à regagner sa barge. Mais cela ne se fit pas sans enthousiastes démonstrations. Toute une foule l’accompagnait, où se mélangeaient les magnats, les Magyars, les Slovaques si nombreux parmi les ouvriers de la ville. Hommes, femmes, enfants accouraient de tous les quartiers pour voir le héros du jour, plus héros que jamais, et non moins que jamais embarrassé de tant de bravos et d’honneurs. Bien que ce fût allonger son chemin, il dut passer par le Stadtvallchen, où s’entassait le public, et un concert de Tsiganes qui allait se donner dans cet admirable jardin vint joindre ses voix et ses instruments aux acclamations générales.

Il fut même, à un instant, question de conduire Ilia Krusch au Brückenbad, ces bains célèbres, où on l’eût passé à l’étuve pour le mieux laver

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