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danubienne… et ses visites dans les villes… et son absence précisément à l’époque où l’escouade de Karl Dragoch avait été mise en échec ?… N’y avait-il pas des conséquences à tirer de ces circonstances… Eh bien non ! Ilia Krusch n’en tirerait aucune. Il ne doutait pas d’ailleurs que si M. Jaeger venait à Pest, il n’hésiterait pas à se porter garant de son honnêteté, pas plus qu’il ne doutait, en somme, d’être reconnu innocent, lorsque son identité serait établie par les documents venus de Racz.

Le lendemain, Ilia Krusch attendit vainement d’être amené devant la Commission internationale. S’il ne quitta point la prison c’est sans doute parce qu’on attendait les renseignements demandés sur son compte.

Même journée celle du 4 juin, et pendant laquelle Ilia Krusch fut abandonné à ses seules réflexions. Et comme il n’était pas encore poursuivi juridiquement, aucun avocat ne vint s’entretenir avec lui au sujet de l’affaire. Il en était donc réduit à s’entretenir avec lui-même. Et alors sa pensée revenait toujours à M. Jaeger. Assurément, ladite affaire jouissait d’un retentissement assez considérable pour être venue aux oreilles de M. Jaeger. Il était donc certain que M. Jaeger ne pouvait ignorer l’arrestation de son compagnon, qu’il ne chercherait point à le rejoindre sur quelque point du fleuve en aval, mais qu’il se transporterait plutôt en toute hâte à Pest pour déposer en faveur d’Ilia Krusch…

« À moins, pensait le brave homme, qu’il n’ait la crainte d’être lui aussi pris pour cet abominable Latzko, comme je le suis moi-même, et, ma foi, la perspective d’être incarcéré n’a rien de tentant. »

Et jamais, non jamais, ne lui venait un soupçon, même léger, sur son compagnon, soupçon qui serait assurément venu au président Roth, au secrétaire Choczim, et aussi à bien d’autres pour ne pas dire à tout le monde, si on avait su dans quelles conditions M. Jaeger et Ilia Krusch avaient fait connaissance et descendu depuis Ulm le cours du grand fleuve !…

Enfin, dans la matinée du 5 juin, la porte de la cellule s’ouvrit de nouveau. Une voiture attendait l’accusé qui fut conduit à l’Hôtel de Ville dans le même cérémonial judiciaire qui lui avait été imposé déjà. S’il revenait devant la Commission, c’est que bien évidemment l’instruction de l’affaire avait fait quelques progrès. Du reste, la salle regorgeait comme la première fois, et comme la première fois les sentiments de l’auditoire ne paraissaient pas moins hostiles. Ilia Kursch était toujours Latzko.

Il faut dire, d’ailleurs, que depuis son arrestation, la police n’avait plus eu aucune nouvelle de Latzko, et, pour tout le monde, cela s’expliquait par le fait même de l’incarcération du faux Ilia Krusch.

L’accusé comparut donc devant les commissaires dans une attitude de découragement bien naturelle après quatre jours d’emprisonnement.

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