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de vingt et une livres pris avec une amorce de têtard, également de M. Jaeger, qui était venu le rejoindre, et les deux amis descendaient paisiblement le cours du fleuve.

Au réveil, il fallut déchanter, et la réalité reparut dans toute son horreur.

Le gardien vint le matin, puis le soir renouveler les provisions du prisonnier. À ces deux visites Ilia Krusch demanda poliment pourquoi on l’avait incarcéré entre quatre murs. Mais, sans doute, le geôlier avait reçu ordre de ne point répondre, et ne répondit pas.

« Enfin… est-ce grave ? » se permit de dire ingénument le prisonnier.

Un hochement de tête, ce fut tout ce qu’il obtint, et encore ce hochement semblait-il indiquer que l’affaire était de la dernière gravité.

Vint la nuit, puis le sommeil, — assez tard il est vrai. Les rêves furent moins heureux, et, cette fois, M. Jaeger n’était plus dans la barge.

« Et qu’est-ce qu’ils ont fait de mon bateau ?… s’était répété plusieurs fois Ilia Krusch, et mes lignes, et mes hameçons, et tout mon attirail de pêche, qu’est-ce que cela va devenir ?… et puis, est-ce qu’ils vont me garder longtemps dans leur prison ? »

Et, enfin, cette désolante question qu’il ne cessait de s’adresser, et qui revenait constamment sous cette forme :

« Qu’est-ce que cela signifie ?… Qu’est-ce que cela signifie ?… »

Ilia Krusch ne devait pas tarder à être fixé sur ce point.

Le lendemain, 2 juin, vers dix heures, la porte de la cellule s’ouvrit, puis, un peu plus tard, la porte de la prison que le prisonnier franchit en compagnie du geôlier. Une voiture l’attendait dans la rue, il y monta avec deux agents. Les curieux étaient nombreux et tout aussi hostiles que la veille.

« C’est lui… c’est lui ! criait-on de toutes parts.

— Qui ? Lui ?… » se demandait Ilia Krusch.

La voiture fila rapidement, et, un quart d’heure après, elle s’arrêtait devant, non point le palais de justice, devant l’Hôtel de Ville. Le prisonnier descendait et était introduit dans une chambre basse où les deux agents avaient ordre de lui tenir compagnie.

Si la Diète était alors réunie à Pest, conformément au pacte constitutionnel, la Commission internationale l’était également sur convocation urgente et spéciale. Tous les membres qui la composaient n’avaient pu venir, les uns absents, les autres prévenus trop tard. Elle ne comprenait donc que le président Roth du duché de Bade, le secrétaire Choczim de la Bes-

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